à dévorer, si héroïque
dans sa détresse, si ardente à mourir, si éprise de liberté, que vingt ans
d'aspirations refoulées n'ont fait qu'amener une explosion de jeunesse et
de vie là où l'Allemagne s'attendait à trouver l'épuisement et
l'indifférence.
* * * * *
Ce qui est assuré, ce que l'on peut prédire, c'est qu'un temps n'est pas
loin où la jeunesse allemande se réveillera de son rêve. Plongée
aujourd'hui dans l'erreur que nous venons de subir, et qui consiste à
croire que la grandeur d'une race est dans sa force matérielle et peut se
personnifier dans la politique d'un homme, elle reconnaîtra que nul
homme ne peut être investi du pouvoir absolu sans en abuser.
L'empereur des Français n'a pas su porter le lourd fardeau qu'il avait
assumé sur lui. Mieux conseillé par un homme d'action pure, le roi
Guillaume est au sommet de la puissance de fait; il n'en est pas moins
condamné, quelle que soit l'intelligence de son ministre, quelque réglée
et assurée que soit sa force, quelque habile et obstinée que semble sa
politique, à voir s'écrouler son prestige. Les temps sont mûrs; ce qui se
passe aujourd'hui chez nous est le glas des monarchies absolues: nous
aurons été près de périr par la faute d'un seul, n'est-ce pas un
enseignement dont l'Allemagne sera frappée? Si nous nous relevons, ce
sera par le réveil de l'énergie individuelle et par la conviction de
l'universelle solidarité. Guillaume continue en ce moment la partie que
Napoléon III vient de perdre. Plus valide, plus lucide, mieux préparé, il
semble triompher de l'Europe anéantie. Il brave toutes les puissances, il
arrive à cette ivresse fatale qui marque la fin des empires. Détrompés
les premiers, nous expions les premiers, comme toujours! Dans vingt
ans, si nous avons réussi à écarter la chimère du règne, nous serons un
grand peuple régénéré. Dans vingt ans, si l'Allemagne s'endort sous le
sceptre, elle sera ce que nous étions hier, un peuple trompé, corrompu,
désarmé.
26 septembre.
On nous dit qu'il y a de bonnes et grandes nouvelles. Nous n'y croyons
pas. Ces pays éloignés de la scène sont comme les troisièmes dessous
d'un théâtre, où le signal qui doit avertir les machinistes ne résonnerait
plus. Paris investi, les lignes télégraphiques coupées, nous sommes plus
loin de l'action que l'Amérique. Mes enfants et nos amis s'en vont à
trois lieues d'ici pour savoir si quelque dépêche est arrivée. Je reste
seule à la maison; il y a une bibliothèque de vieux livres de droit et de
médecine. Je trouve l'ancien recueil des _Causes célèbres_. J'essaye de
lire. Toutes ces histoires doivent être intéressantes quand on a l'esprit
libre. Dans la disposition où est le mien, je ne saurais rien juger; de plus
il me semble que juger sans appel est impossible à tous les points de
vue, et que tous ces grands procès jugés ne condamnent personne au
tribunal de l'avenir. Peu de faits réputés authentiques sont absolument
prouvés, et lorsque la torture était un moyen d'arracher la vérité, les
aveux ne prouvaient absolument rien; mais je ne m'arrête pas aux
causes tragiques. Ces épisodes de la vie humaine paraissent si petits
quand tout est drame vivant et tragédie sanglante dans le monde! Je
cherche quelque intérêt dans les causes civiles rapportées dans ce
recueil: des enfants méconnus, désavoués, qui forcent leurs parents à
les reconnaître ou qui parviennent à se faire attribuer leur héritage; des
personnages disparus qui reparaissent et réussissent ou ne réussissent
pas à recouvrer leur état civil, les uns condamnés comme imposteurs,
les autres réintégrés dans leurs noms et dans leurs biens; des arrêts
rendus pour et contre dans les mêmes causes, des témoignages qui se
contredisent, des faits qui, dans l'esprit du lecteur, disent en même
temps oui et non: où est la vérité dans ces aventures romanesques,
souvent invraisemblables à force d'être inexplicables? Où est
l'impartialité possible quand c'est quelquefois le méchant qui semble
avoir raison du doux et du faible? Où est la certitude pour le magistrat?
A-t-elle pu exister pour lui, quand la postérité impartiale ne démêle pas,
au milieu de ces détails minutieux, le mensonge de la vérité?
Les enquêtes réciproques sont suscitées par la passion; elles dévoilent
ou inventent tant de turpitudes chez les deux parties qu'on arrive à ne
rien croire ou à ne s'intéresser à personne. Cette lecture ne me porte pas
à rechercher le réalisme dans l'art, non pas tant à cause du manque
d'intérêt du réel qu'à cause de l'invraisemblance. Il est étrange que les
choses arrivées soient généralement énigmatiques. Les actions sont
presque toujours en raison inverse des caractères. Toute la logique
humaine est annulée quand, au lieu de s'élever au-dessus des intérêts
matériels, l'homme fait de ces intérêts le mobile absolu de sa conduite.
Il tombe alors sous la loi du hasard,
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