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Journal d'un voyageur pendant la guerre
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Title: Journal d'un voyageur pendant la guerre
Author: George Sand
Release Date: January 23, 2006 [EBook #17589]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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JOURNAL D'UN VOYAGEUR PENDANT LA GUERRE
PAR
GEORGE SAND
(L.-A. AURORE DUPIN) VEUVE DE M. LE BARON DUDEVANT
PARIS MICHEL LéVY FRèRES, éDITEURS RUE AUBER, 3, PLACE DE L'OPéRA
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LIBRAIRIE NOUVELLE BOULEVARD DES ITALIENS, 15, AU COIN DE LA RUE DE GRAMMONT
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1871
Droits de reproduction et de traduction réservés
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Nohant, 15 septembre 1870.
Quelle année, mon Dieu! et comme la vie nous a été rigoureuse! La vie est un bien pourtant, un bien absolu, qui ne se perd ni ne diminue dans le sublime total universel. Les hommes de ce petit monde où nous sommes n'en ont encore qu'une notion confuse, un sentiment fiévreux, douloureux, étroit. Ils font un misérable usage des fugitives années où ils croient pouvoir dire moi, sans songer qu'avant et après cette passagère affirmation, leur moi a déjà été et sera encore un moi inconscient peut-être de l'avenir et du passé, mais toujours plus affirmatif et plus accusé.
Des milliers d'hommes viennent de joncher les champs de bataille de leurs cadavres mutilés. Chers êtres pleurés! une grande ame s'élève avec la fumée de votre sang injustement, odieusement répandu pour la cause des princes de la terre. Dieu seul sait comment cette ame magnanime se répartira dans les veines de l'humanité; mais nous savons au moins qu'une partie de la vie de ces morts passe en nous et y décuple l'amour du vrai, l'horreur de la guerre pour la guerre, le besoin d'aimer, le sentiment de la vie idéale, qui n'est autre que la vie normale telle que nous sommes appelés à la conna?tre. De cette étreinte furieuse de deux races sortira un jour la fraternité, qui est la loi future des races civilisées. Ta mort, ? grand cadavre des armées, ne sera donc pas perdue, et chacun de nous portera dans son sein un des coeurs qui ont cessé de battre.
Ces réflexions me saisissent au lever du soleil, après quatre jours de fièvre que vient de dissiper ou plut?t d'épuiser une nuit d'insomnie. En ouvrant ma fenêtre, en aspirant la fra?cheur du matin et le profond silence d'une campagne encore matériellement tranquille, je me demande si tout ce que je souffre depuis six semaines n'est point un rêve. Est-il possible que ce matin bleu, cette verdure renouvelée après un été torride, ces nuages roses qui montent dans le ciel, ces rayons d'or qui percent les branches, ne soient pas l'aurore d'un jour heureux et pur? Est-il possible que les héros de nos places de guerre souffrent mille morts à cette heure, et que Paris entende déjà peut-être gronder le canon allemand autour de ses murailles? Non, cela n'est pas. J'ai eu le cauchemar, la fièvre a décha?né sur moi ses fant?mes, elle m'a brisée. Je m'éveille, tout est comme auparavant. Les vendangeurs passent, les coqs chantent, le soleil étend sur l'herbe ses tapis de lumière, les enfants rient sur le chemin.--Horreur! voilà des blessés qui reviennent, des conscrits qui partent: malheur à moi, je n'avais pas rêvé!
Et devant moi se déroule de nouveau cette funeste demi-année dont j'ai bu l'amertume en silence: Mon fils gravement malade pendant seize nuits que j'ai passées à son chevet,--attendant d'heure en heure, durant plusieurs de ces nuits lugubres, que ma belle-fille m'apportat des nouvelles de mes deux petits-enfants sérieusement malades aussi: et puis, quelques jours plus tard, quand le printemps splendide éclatait en pluie de fleurs sur nos têtes, vingt autres nuits passées auprès de mon fils malade encore. Et puis une grande fatigue, le travail en retard, un effort désespéré pour reprendre ma tache au milieu d'un été que je n'ai jamais vu, que je ne croyais pas possible dans nos climats tempérés: des journées où le thermomètre à l'ombre montait à 45 degrés, plus un brin d'herbe, plus une fleur au 1er juillet, les arbres jaunis perdant leurs feuilles, la terre fendue s'ouvrant comme pour nous ensevelir, l'effroi de manquer d'eau d'un jour à l'autre, l'effroi des maladies et de la misère pour tout ce pauvre monde découragé de demander à la terre ce qu'elle refusait obstinément à son travail, la consternation de sa fauchaison à peu
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