Journal dun voyageur pendant la guerre | Page 9

George Sand
est dans sa force mat��rielle et peut se personnifier dans la politique d'un homme, elle reconna?tra que nul homme ne peut ��tre investi du pouvoir absolu sans en abuser. L'empereur des Fran?ais n'a pas su porter le lourd fardeau qu'il avait assum�� sur lui. Mieux conseill�� par un homme d'action pure, le roi Guillaume est au sommet de la puissance de fait; il n'en est pas moins condamn��, quelle que soit l'intelligence de son ministre, quelque r��gl��e et assur��e que soit sa force, quelque habile et obstin��e que semble sa politique, �� voir s'��crouler son prestige. Les temps sont m?rs; ce qui se passe aujourd'hui chez nous est le glas des monarchies absolues: nous aurons ��t�� pr��s de p��rir par la faute d'un seul, n'est-ce pas un enseignement dont l'Allemagne sera frapp��e? Si nous nous relevons, ce sera par le r��veil de l'��nergie individuelle et par la conviction de l'universelle solidarit��. Guillaume continue en ce moment la partie que Napol��on III vient de perdre. Plus valide, plus lucide, mieux pr��par��, il semble triompher de l'Europe an��antie. Il brave toutes les puissances, il arrive �� cette ivresse fatale qui marque la fin des empires. D��tromp��s les premiers, nous expions les premiers, comme toujours! Dans vingt ans, si nous avons r��ussi �� ��carter la chim��re du r��gne, nous serons un grand peuple r��g��n��r��. Dans vingt ans, si l'Allemagne s'endort sous le sceptre, elle sera ce que nous ��tions hier, un peuple tromp��, corrompu, d��sarm��.
26 septembre.
On nous dit qu'il y a de bonnes et grandes nouvelles. Nous n'y croyons pas. Ces pays ��loign��s de la sc��ne sont comme les troisi��mes dessous d'un th��atre, o�� le signal qui doit avertir les machinistes ne r��sonnerait plus. Paris investi, les lignes t��l��graphiques coup��es, nous sommes plus loin de l'action que l'Am��rique. Mes enfants et nos amis s'en vont �� trois lieues d'ici pour savoir si quelque d��p��che est arriv��e. Je reste seule �� la maison; il y a une biblioth��que de vieux livres de droit et de m��decine. Je trouve l'ancien recueil des _Causes c��l��bres_. J'essaye de lire. Toutes ces histoires doivent ��tre int��ressantes quand on a l'esprit libre. Dans la disposition o�� est le mien, je ne saurais rien juger; de plus il me semble que juger sans appel est impossible �� tous les points de vue, et que tous ces grands proc��s jug��s ne condamnent personne au tribunal de l'avenir. Peu de faits r��put��s authentiques sont absolument prouv��s, et lorsque la torture ��tait un moyen d'arracher la v��rit��, les aveux ne prouvaient absolument rien; mais je ne m'arr��te pas aux causes tragiques. Ces ��pisodes de la vie humaine paraissent si petits quand tout est drame vivant et trag��die sanglante dans le monde! Je cherche quelque int��r��t dans les causes civiles rapport��es dans ce recueil: des enfants m��connus, d��savou��s, qui forcent leurs parents �� les reconna?tre ou qui parviennent �� se faire attribuer leur h��ritage; des personnages disparus qui reparaissent et r��ussissent ou ne r��ussissent pas �� recouvrer leur ��tat civil, les uns condamn��s comme imposteurs, les autres r��int��gr��s dans leurs noms et dans leurs biens; des arr��ts rendus pour et contre dans les m��mes causes, des t��moignages qui se contredisent, des faits qui, dans l'esprit du lecteur, disent en m��me temps oui et non: o�� est la v��rit�� dans ces aventures romanesques, souvent invraisemblables �� force d'��tre inexplicables? O�� est l'impartialit�� possible quand c'est quelquefois le m��chant qui semble avoir raison du doux et du faible? O�� est la certitude pour le magistrat? A-t-elle pu exister pour lui, quand la post��rit�� impartiale ne d��m��le pas, au milieu de ces d��tails minutieux, le mensonge de la v��rit��?
Les enqu��tes r��ciproques sont suscit��es par la passion; elles d��voilent ou inventent tant de turpitudes chez les deux parties qu'on arrive �� ne rien croire ou �� ne s'int��resser �� personne. Cette lecture ne me porte pas �� rechercher le r��alisme dans l'art, non pas tant �� cause du manque d'int��r��t du r��el qu'�� cause de l'invraisemblance. Il est ��trange que les choses arriv��es soient g��n��ralement ��nigmatiques. Les actions sont presque toujours en raison inverse des caract��res. Toute la logique humaine est annul��e quand, au lieu de s'��lever au-dessus des int��r��ts mat��riels, l'homme fait de ces int��r��ts le mobile absolu de sa conduite. Il tombe alors sous la loi du hasard, car il appartient �� des ��ventualit��s qui ne lui appartiennent pas, et si sa destin��e est folle et bizarre, il semble devenir bizarre et fou lui-m��me.
Les nouvelles d'hier, c'est la d��marche de Jules Favre aupr��s de M. de Bismarck. De quelque fa?on qu'on juge cette d��marche au point de vue pratique, elle est noble et humaine, elle a un caract��re de sinc��rit�� touchante. Nous en sommes ��mus, et nos coeurs repoussent avec le sien la paix honteuse qui nous est offerte.
Ce n'est pas l'avis de tout le monde.
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