de lui répéter à tout moment: «Voyons, il s'agit
d'une chose grave, Balzac, il faut être convenable pendant les quelques
jours que nous sommes ici,» et il lâchait le grand écrivain le moins
possible. Un jour qu'il avait été obligé de le quitter deux heures, il le
retrouvait sur la place où il avait accroché le sous-préfet, et lui racontait
comment les petites filles s'amusent dans les pensions.
Dans ce voyage où Gavarni était obligé de veiller à la propreté de son
compagnon, un jour il ne pouvait s'empêcher de lui dire:
--«Ah çà, Balzac, pourquoi n'avez-vous pas un ami... oui, un de ces
bourgeois bêtes et affectueux, comme on en trouve... qui vous laverait
les mains, mettrait votre cravate, enfin qui prendrait de vous le soin que
vous n'avez pas le temps...»
--«Oh! s'écria Balzac, un ami comme ça, je le ferai passer à la
postérité!»
* * * * *
--Nos soirées, presque toutes les soirées, où nous ne travaillons pas,
nous les passons dans le fond de la boutique d'un singulier marchand de
tableaux, dans la boutique de X..., qui, sous le prétexte d'occuper
l'oisiveté de sa vie, va encore manger une cinquantaine de mille francs
à son père. Un grand, gros, fort garçon, occupé à remonter à toute
minute, par un geste bête, une paire de lunettes qui lui dévale du nez, et
si soufflé par tout le corps d'une mauvaise graisse, qu'il semble en
baudruche, et que la plaisanterie ordinaire de Pouthier est de crier:
«Fermez les fenêtres ou Pamphile va s'envoler!» Le meilleur des
hommes et le marchand le plus paresseux, le plus flâneur, le plus
boubouilleur, le plus incapable de tirer un gain d'une chose qu'il
vend,--et qui, 365 fois par an, a besoin de voir, autour de son dîner,
cinq ou six figures, si ce n'est au moins autour de la table, où, du matin
au soir, se vident les canettes.
Il a emménagé avec lui une jeune femme, pas précisément jolie, et qui
de temps en temps se dérobe et se cache dans un joli mouvement
contourné pour prendre une prise de tabac, mais une jeune femme qui a
de paresseuses poses de chatte dans sa bergère au coin de la cheminée,
un petit bagout spirituel, une grâce de gentille bourgeoise d'un autre
siècle: toute cette douce et tranquille séduction cachant une hystérie
très prononcée, qui la fait, presque tous les mois, à un quantième, où
elle dit, aller chez elle pour donner son linge à la blanchisseuse,
disparaître deux ou trois jours avec un des attablés ordinaires de son
amant,--après quoi, elle rentre au bercail et le ménage reprend comme
si de rien n'était.
Pouthier, après des aventures à défrayer un roman picaresque, et qui,
sans attribution bien fixe dans la maison, est à la fois commis,
restaurateur de tableaux, et surtout le patito de la jeune femme, remplit
le fond du magasin de lazzis et de tours de force.
Là arrivent, tous les soirs,--car la bière vient du GRAND BALCON, et
la femme a le don capiteux de produire autour d'elle une certaine
excitation de l'esprit et de mettre les imaginations en verve,--là arrivent
le peintre Hafner, le plus bredouilleur des Alsaciens; Valentin, le
dessinateur de l'ILLUSTRATION; Deshayes, le petit maître aux
tonalités grises, et le blond coloriste Voillemot, avec sa tignasse
d'Apollon roussi, et Galetti, et le tout jeune Servin, et d'autres, et
d'autres, et c'est toute la soirée un tapage et une débauche de paroles,
que de temps en temps, solennellement, le maître de la maison réprime
par un «Où te crois-tu!» indigné.
Dans les raisons que X... a données à son père, pour qu'il lui fournît les
fonds nécessaires à son commerce, il a fait entrer l'énorme économie
qu'il réaliserait en n'allant plus au café, et le malheureux en tient un
gratis!
* * * * *
--Un soir, le monde de la boutique se décide à faire une excursion dans
la forêt de Fontainebleau, à passer quelques jours chez le père Saccaux,
à Marlotte, la patrie d'élection du paysage moderne et de Murger.
Pouthier ferme le magasin. Mélanie met sa toilette la plus pimpante,
réunissant sur sa personne tous ses bijoux; et nous voilà dans cette forêt,
où chaque arbre semble un modèle entouré d'un cercle de boîtes à
couleurs. Là, de grandes courses à la suite des peintres et de leurs
maîtresses en joie, et comme grisées par le plein air de la campagne:
des jours qui ressemblent à des dimanches d'ouvriers. On vit en famille,
en s'empruntant son savon, et on a des appétits et des soifs qui vous
font trouver bonne la médiocre ratatouille et aimable le ginglet de
l'endroit. Chacun paye son écot de bonne humeur. Les femmes
mouillent leurs bottines dans l'herbe sans grogner. Murger semble
rasséréné comme en une convalescence d'absinthe. On
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