Jim Harrison, boxeur | Page 6

Sir Arthur Conan Doyle
été en état de tenir tête à Jackson ou à Belcher, dans leurs

meilleurs jours.
Sa poitrine était un tonneau.
Ses avant-bras étaient les plus puissants que j'aie jamais vus, avec leurs
sillons profonds, entre des muscles aux saillies luisantes, comme un
bloc de roche polie par l'action des eaux.
Néanmoins, avec toute cette vigueur, c'était un homme lent, rangé,
doux, en sorte que personne n'était plus aimé que lui, dans cette région
campagnarde.
Sa figure aux gros traits, bien rasée, pouvait prendre une expression fort
dure, ainsi que je l'ai vu à l'occasion, mais pour moi et tous les bambins
du village, il nous accueillait toujours un sourire sur les lèvres, et la
bienvenue dans les yeux. Dans tout le pays, il n'y avait pas un mendiant
qui ne sût que s'il avait des muscles d'acier, son coeur était des plus
tendres.
Son sujet favori de conversation, c'était ses rencontres d'autrefois, mais
il se taisait, dès qu'il voyait venir sa petite femme, car le grand souci
qui pesait sur la vie de celle-ci était de lui voir jeter là le marteau et la
lime pour retourner au champ clos. Et vous n'oubliez pas que son
ancienne profession n'était nullement atteinte à cette époque de la
déconsidération qui la frappa dans la suite. L'opinion publique est
devenue défavorable, parce que cet état avait fini par devenir le
monopole des coquins et parce qu'il encourageait les méfaits commis
sur l'arène.
Le boxeur honnête et brave a vu lui aussi se former autour de lui un
milieu de gredins, tout comme cela arrive pour les pures et nobles
courses de chevaux. C'est pour cela que l'Arène se meurt en Angleterre
et nous pouvons supposer que quand Caunt et Bendigo auront disparu,
il ne se trouvera personne pour leur succéder. Mais il en était autrement
à l'époque dont je parle.
L'opinion publique était des plus favorables aux lutteurs et il y avait de
bonnes raisons pour qu'il en fût ainsi.
On était en guerre. L'Angleterre avait une armée et une flotte
composées uniquement de volontaires, qui s'y engageaient pour obéir à
leur instinct batailleur, et elle avait en face d'elle un pays où une loi
despotique pouvait faire de chaque citoyen un soldat.
Si le peuple n'avait pas eu en surabondance cette humeur batailleuse, il
est certain que l'Angleterre aurait succombé.

On pensait donc et on pense encore que, les choses étant ainsi, une lutte
entre deux rivaux indomptables, ayant trente mille hommes pour
témoins et que trois millions d'hommes pouvaient disputer, devait
contribuer à entretenir un idéal de bravoure et d'endurance.
Sans doute, c'était un exercice brutal, et la brutalité même en était la fin
dernière, mais c'était moins brutal que la guerre qui doit pourtant lui
survivre.
Est-il logique d'inculquer à un peuple des moeurs pacifiques, en un
siècle où son existence même peut dépendre de son tempérament
guerrier?
C'est une question que j'abandonne à des têtes plus sages que la
mienne.
Mais, c'était ainsi que nous pensions au temps de nos grands-pères et
c'est pourquoi on voyait des hommes d'État comme Wyndham, comme
Fox, comme Althorp, se prononcer en faveur de l'Arène.
Ce simple fait, que des personnages considérables se déclaraient pour
elle, suffisait à lui seul pour écarter la canaillerie qui s'y glissa par la
suite.
Pendant plus de vingt ans, à l'époque de Jackson, de Brain, de Cribb,
des Belcher, de Pearce, de Gully et des autres, les maîtres de l'Arène
furent des hommes dont la probité était au-dessus de tout soupçon et
ces vingt-là étaient justement, comme je l'ai dit, à l'époque où l'Arène
pouvait servir un intérêt national.
Vous avez entendu conter comment Pearce sauva d'un incendie une
jeune fille de Bristol, comment Jackson s'acquit l'estime et l'amitié des
gens les plus distingués de son temps et comment Gully conquit un
siège dans le premier Parlement réformé.
C'étaient ces hommes-là qui déterminaient l'idéal. Leur profession se
recommandait d'elle-même par les conditions qu'elle exigeait, le succès
y étant interdit à quiconque était ivrogne ou menait une vie de
débauche.
Il y avait, parmi les lutteurs d'alors, des exceptions sans doute, des
bravaches tels que Hickmann, des brutes comme Berks, mais je répète
qu'en majorité, ils étaient d'honnêtes gens, portant la bravoure et
l'endurance à un degré incroyable et faisant honneur au pays qui les
avait enfantés.
Ainsi que vous le verrez, la destinée me permit de les fréquenter

quelque peu et je parle d'eux en connaissance de cause.
Je puis vous assurer que nous étions fiers de posséder dans notre village
un homme tel que le champion Harrison, et quand des voyageurs
faisaient un séjour à l'auberge, ils ne manquaient pas d'aller faire un
tour à la forge, rien que pour jouir de sa vue.
Il valait bien la peine d'être regardé, surtout par un soir de mai, alors
que
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