la mémoire de la domination fran?aise. Les jeunes gens, plus violents, avaient prononcé les mots de tra?tre et ?d'anglais?, ce qui équivalait alors à une injure personnelle. Les caractères s'aigrirent de part et d'autre et les Montépel se rangèrent, de dépit, sous la bannière des rares partisans de l'Angleterre.
Ils avaient depuis fait cause commune avec le parti tory, et l'on disait même tout bas, à Lavaltrie et à Lanoraie, que le père Jean-Louis avait trahi les ?patriotes? pendant la lutte glorieuse de 1837-1838.
Quoiqu'il en soit, il était certain que Jean-Louis Montépel avait été ce que l'on appelait alors un ?bureaucrate? enragé, et qu'il s'était opposé de toutes ses forces au mouvement organisé par Louis-Joseph Papineau. Son fils unique Pierre, né en 1844, après avoir fait l'apprentissage des travaux de la ferme et avoir appris les rudiments de la grammaire fran?aise sur les bancs de l'école du village, avait été envoyé au séminaire de Montréal pour y compléter un cours d'études classiques. Le jeune homme avait fait preuve de talents sérieux et le curé du village ayant été consulté sur la question de le conduire au collège, avait répondu:
--M. Montépel, Pierre est un brave gar?on, au coeur généreux et à l'intelligence vive. Donnez-lui les avantages d'une bonne éducation et soyez certain qu'il fera plus tard l'orgueil de vos vieux jours.
Pierre avait donc pris la route de Montréal et avait suivi pendant deux ans les cours du séminaire. Un incident assez simple en apparence, avait cependant brisé sa carrière commencée sous de si beaux auspices.
Le jeune homme avait rencontré sur les bancs du séminaire une foule de camarades aux ames vives et aux sentiments patriotiques, qui lui avaient parlé bien souvent, en termes chaleureux, des glorieux efforts des patriotes de 1837. Pierre avait appris à honorer les noms des martyrs de l'oligarchie anglaise et à maudire la mémoire de ceux qui les avaient livrés à la vengeance implacable des tribunaux tories. Pierre en un mot avait appris à détester les chouayens et à regretter la tutelle de la mère-patrie. Il savait fort bien que son père ne partageait pas ses idées à ce sujet, mais il se taisait devant le vieillard par respect filial, et il prenait soin de ne jamais causer politique devant les amis de la famille.
Un jour vint, cependant, où le jeune homme, dans un moment d'oubli, laissa échapper des paroles qui blessèrent les sentiments du père Jean-Louis. Celui-ci tout étonné lui dit:
--Ah ?a! mon fils! est-ce là ce que l'on t'enseigne sur les bancs du collège de Montréal? Est-ce pour t'apprendre à mépriser les convictions politiques de ton père, que je sacrifie ma fortune à te faire donner une bonne éducation?
--Mon père, répondit Pierre, je n'aurais jamais volontairement fait entendre ma voix pour critiquer vos idées, quelles qu'elles soient, mais le hasard a voulu que vous apprissiez mes sentiments à cet égard, et vous m'avez enseigné à être trop honnête homme, pour que je m'abaisse à renier ma croyance politique. Vous paraissez vous plaindre des sommes que vous avez dépensées pour moi. Soit, je comprends vos hésitations. Dorénavant, je gagnerai moi-même mon pain. Dès aujourd'hui, mon père, je vais m'occuper à chercher une situation qui me permettra de pourvoir moi-même à mes besoins.
Le père Jean-Louis avait pleuré en secret de ce qu'il appelait l'obstination de son fils, mais il était trop orgueilleux pour faire le premier pas vers une réconciliation mutuelle.
Quinze jours plus tard, Pierre avait fait ses préparatifs de voyage; et après avoir embrassé son père et sa mère, il leur annon?a qu'il avait décidé d'aller ?hiverner dans les chantiers? avec quelques jeunes hommes des environs.
La mère était presque folle de chagrin; le père lui-même voyait avec peine cette brusque décision de son fils; mais l'orgueil avait encore joué son r?le dans tout cela, et Pierre partit sans que son père lui accordat le pardon de ce qu'il considérait comme un entêtement criminel.
Le canot s'éloigna du rivage. Les voyageurs, le coeur gros donnèrent le premier coup d'aviron, et la légère embarcation, faisant tête au courant, se dirigea vers Montréal. Quinze jours plus tard, on était à Bytown, maintenant Ottawa, et quelques jours encore et les hardis b?cherons attaquaient de la cognée les géants des forêts du Nord.
IV
Le retour au pays
Le Canadien, comme ses pères Aime à chanter, à s'égayer; Doux, aisé, vif en manières Poli, galant, hospitalier.
(Sir G.-é. Cartier.)
[G.-é. Cartier, ? Canada, mon pays, mes amours!, dans La Minerve, 29 juin 1835.]
Six mois s'écoulèrent ainsi au milieu des rudes travaux de la forêt.
Pierre par son intelligence et son éducation avait immédiatement obtenu la position de ?foreman?--chef d'équipe.
Le printemps arriva et avec lui les dégels et la descente des bois de construction, et les voyageurs de Lavaltrie se rendirent à Québec, pour conduire leur cage à destination, et pour toucher leur salaire de la saison.
Leur fidèle canot d'écorce
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