Jean-nu-pieds, Vol. 2

Albert Delpit
謁
Jean-nu-pieds, Vol. 2

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Title: Jean-nu-pieds, Vol. 2 chronique de 1832
Author: Albert Delpit
Release Date: April 3, 2006 [EBook #18108]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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JEAN-NU-PIEDS
PAR
ALBERT DELPIT
TOME DEUXIèME

PARIS E. DENTU, LIBRAIRE-éDITEUR
1876

I
LA RENCONTRE
A quelques pas de cette ferme où Madame et les siens s'étaient réfugiés, s'élève l'église modeste du village de Rassé.
Il serait bien difficile d'établir quel architecte exotique a pu dessiner le plan de ce monument ridicule. Mais la religion prête à ces ogives grotesques je ne sais quel aspect artistique plus grand que les pierres taillées de Donatello et de Brunelleschi.
Entrons dans l'église. Tout y est commun, vulgaire, et pourtant tout y est charmant.
Le bois jaune-brun des bancs est troué par les mites d'une infinité de trous; le petit banc pour les genoux est rugueux au toucher.
Il n'y a qu'une seule chose de prix dans l'église; il est vrai qu'elle est d'un prix inestimable, et qu'elle enrichirait Notre-Dame et Saint-Pierre.
C'est une tapisserie merveilleuse, faite au petit point, qui rappelle à s'y méprendre, tant le travail est admirable de fini et d'art, les ravissantes miniatures qu'expose madame Marie de Chevarier, dans son atelier du boulevard Haussmann. Cette tapisserie représente plusieurs sujets religieux du pape saint Pie V.
Pie V avait dans son oratoire un crucifix d'ivoire qu'il affectionnait particulièrement.
Quand il priait, il avait coutume de baiser plusieurs fois les pieds du Christ.
Or, un jour, ses ennemis versent du poison sur ces pieds d'ivoire, de manière que le Saint-Père b?t la mort, à son insu, en embrassant les plaies du Sauveur.
Mais Dieu veillait sur son serviteur. Quand déjà Pie V avan?ait les lèvres, le Christ, immobile sur sa croix d'ébène, recula, et ne voulut pas donner la mort à celui qui lui demandait la vie.
Or, le soir même de la bataille de Vieillevigne, au moment où Madame ordonnait à Jean-Nu-Pieds d'aller en reconnaissance du c?té du chateau de la Pénissière, une jeune femme priait au pied du ma?tre autel de la petite église. Cette jeune femme était Fernande, qui venait de quitter pour toujours les vêtements de Pinson et avait repris ceux de mademoiselle Grégoire.
Elle priait avec ferveur, ses yeux étaient inondés de larmes.
--O mon Dieu! dit-elle en regardant la tapisserie, vous qui avez fait un miracle pour sauver votre glorieux serviteur, ? mon Dieu! faites qu'il s'en accomplisse un aussi pour me sauver, moi si obscure, mais si infortunée! J'ai souffert, mais j'ai lutté, mais j'ai triomphé... J'ai étreint mon coeur dans ma poitrine, en lui refusant le droit de battre... J'ai défendu à ma faiblesse de prendre le dessus sur ma force. O mon Dieu! ayez pitié de moi.
La malheureuse enfant pleurait à chaudes larmes. Quelle que soit l'énergie d'une créature humaine, elle décro?t en face de Dieu, car l'ame intelligente sait qu'il suffirait de la volonté de Celui qu'on implore pour changer sa souffrance en joie.
Il régnait dans l'église une obscurité douce qui teintait en noir tous les objets. Fernande ne s'aper?ut pas qu'elle n'était plus seule.
Un paysan, de très-petite taille, le corps déguisé sous un manteau, et la tête découverte, venait d'entrer, et, debout, comme perdu dans une extase, se tenait immobile derrière la jeune fille.
Fernande, ne l'ayant pas entendu venir, ne pouvait pas l'apercevoir, car ce fidèle attardé était enveloppé par l'ombre de l'église qui le cachait entièrement.
Mais, s'il n'était pas vu, lui voyait.
Son attention fut attirée par les gémissements étouffés qu'il entendait à c?té de lui.
Fernande priait toujours.
--Seigneur! je suis lasse; Seigneur, prenez-moi dans vos bras, car j'ai trop souffert, et je ne pourrais plus souffrir encore; mon Dieu, je suis impie, peut-être, en vous implorant dans ce lieu pour les angoisses et les douleurs d'un amour humain; mais votre souveraine justice est faite de souveraine bonté... vous aurez pitié de moi!... Je ne me suis pas rendue sans combat: j'ai voulu vaincre, et puis j'ai été vaincue. Je vous implore; ayez pitié de votre enfant!
Les premières paroles de la jeune fille avaient touché le paysan. Il écoutait plus attentivement.
Fernande reprit d'une voix plus basse:
--Mère, mère chérie, tu m'as dit en mourant de venir causer avec toi... Hélas! je suis bien loin de ta tombe, je suis bien éloignée de la pierre blanche où j'allais m'agenouiller... Mère, je t'ai interrogée quand j'ai senti que je l'aimais, et ma conscience m'a répondu que j'avais raison. Pourquoi m'abandonnes-tu maintenant? Toi
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