Jacques

George Sand
Jacques

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Title: Jacques
Author: George Sand
Release Date: October 21, 2004 [EBook #13818]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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George Sand.
[Illustration: ]
JACQUES

NOTICE
Que Jacques soit l'expression et le résultat de pensées tristes et de sentiments amers, il n'est pas besoin de le dire. C'est un livre douloureux et un déno?ment désespéré. Les gens heureux, qui sont parfois fort intolérants, m'en ont blamé. A-t-on le droit d'être désespéré? disaient-ils. A-t-on le droit d'être malade?
Jacques n'est cependant pas l'apologie du suicide; c'est l'histoire d'une passion, de la dernière et intolérable passion, d'une ame passionnée; je ne prétends pas nier cette conséquence du roman, que certains coeurs dévoués se voient réduits à céder la place aux autres et que la société ne leur laisse guère d'autre choix, puisqu'elle raille et s'indigne devant la résignation ou la miséricorde d'un époux trahi. En ceci, la société ne se montre pas fort chrétienne. Aussi Jacques finit-il peu chrétiennement sa vie en s'arrogeant le droit d'en disposer. Mais à qui la faute? Jacques ne proteste pas tant qu'on croit contre cette société irréligieuse. Il lui cède, au contraire, beaucoup trop, puisqu'il tue et se tue. Il est donc l'homme de son temps, et apparemment que son temps n'est pas bon pour les gens mariés, puisque certains d'entre eux sont placés sans transaction possible entre l'état de meurtriers et celui de saints.
Tachons d'être saints, et si nous en venons à bout, nous saurons d'autant plus combien cela est difficile, et quelle indulgence on doit à ceux qui ne le sont pas encore. Alors nous reconna?trons peut-être qu'il y a quelque chose à modifier ou dans la loi, ou dans l'opinion, car le but de la société devrait être de rendre la perfection accessible à tous, et l'homme est bien faible quand il lutte seul contre le torrent des moeurs et des idées.
J'ai écrit ce livre à Venise en 1834, ainsi que _Leone Leoni et André_.
GEORGE SAND. Paris, mars 1853.

PREMIèRE PARTIE.

I.
Tilly, près Tours; le...
Tu veux, mon amie, que je te dise la vérité; tu me reproches d'être trop mademoiselle avec toi, comme nous disions au couvent. Il faut absolument, dis-tu, que je t'ouvre mon coeur et que je te dise si j'aime M. Jacques. Eh bien, oui, ma chère, je l'aime, et beaucoup. Pourquoi n'en conviendrais-je pas à présent? Notre contrat de mariage sera signé demain, et avant un mois nous serons unis. Rassure-toi donc, et ne t'effraie plus de voir les choses aller si vite. Je crois, je suis persuadée que le bonheur m'attend dans cette union. Tu es folle avec tes craintes. Non, ma mère ne me sacrifie point à l'ambition d'une riche alliance. Il est vrai qu'elle est un peu trop sensible à cet avantage, et qu'au contraire la disproportion de nos fortunes me rendrait humiliante et pénible l'idée de tout devoir à mon mari, si Jacques n'était pas l'homme le plus noble de la terre. Mais tel que je le connais, j'ai sujet de me réjouir de sa richesse. Sans cela, ma mère ne lui aurait jamais pardonné d'être roturier. Tu dis que tu n'aimes pas ma mère et qu'elle t'a toujours fait l'effet d'une méchante femme; tu fais mal, je pense, de me parler ainsi de celle à qui je dois respect et vénération. Je suis bien coupable, à ce que je vois; car c'est moi qui t'ai portée à ce jugement par la faiblesse que j'ai eue souvent de te raconter les petits chagrins et les frivoles mortifications de notre intimité. Ne m'expose plus à ce remords, chère amie, en me disant du mal de ma mère.
Ce qu'il y a de plaisant dans ta lettre, ce n'est pas cela certainement; mais c'est l'espèce de pénétration soup?onneuse avec laquelle tu devines à moitié les choses. Par exemple, tu prétends que Jacques doit être un homme vieux, froid, sec et sentant la pipe; il y a un peu de vrai dans ce jugement. Jacques n'est pas de la première jeunesse, il a l'extérieur calme et grave, et il fume. Vois combien il est heureux pour moi que Jacques soit riche! Encore une fois, ma mère aurait-elle toléré sans cela la vue et l'odeur d'une pipe!
La première fois que je l'ai vu, il fumait, et à cause de cela j'aime toujours à le voir dans cette occupation et dans l'attitude qu'il avait alors. C'était chez les Borel. Tu
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