Jacques Cartier | Page 4

Émile Chevalier
ajouta:
--Allons, de la patience! dans trois mois, nous reprendrons la route de Saint-Malo. Au surplus, je n'aurai pas perdu mon temps, ici. J'ai exploré la c?te septentrionale de cette terre à peu près inconnue, et découvert plusieurs ?les qui pourront être un jour très-productives... Bien! Que le roi de France, mon ma?tre, m'accorde l'autorisation de reconna?tre tout le pays, et, sous peu, nous n'aurons plus rien à envier à la gloire de ce Génois, ce Colomb dont le nom m'importune autant qu'il m'enivre!
--Ah! min Gieu! vous avez encore des projets de voyage! vous voulez encore délaisser...
--Catherine!... j'aurais tort! n'est-ce pas? Oublions mes présomptueux desseins... Cette expédition sera ma dernière... Pourtant je touche à peine à ma vingt-septième année!
--Da oui, vous êtes venu au monde le jour de la Saint-Sylvestre, le 31 décembre 1494; je m'en souviens comme d'hier, et que votre père, ma?tre Jamet...
--Bah! laissons cela, mon vieil ami... Je t'ai mandé pour que tu ailles, avec quelques hommes de corvée, faire du bois et battre les environs... Je crains que ces sauvages, qui ont enlevé deux des n?tres, ne renouvellent leurs agressions...
--C'est entendu ma?tre. Je partirai tout de suite.
--Surtout armez-vous bien, car ces bandits sont vigoureux et très-adroits. De la prudence, Jean, de la prudence. Si nous perdions encore quelqu'un, la panique se glisserait dans l'équipage... Tu me comprends?
--Vous pouvez être tranquille, capitaine, vos recommandations seront suivies, comme si elles venaient du bon Gieu, répondit le matelot en sortant de la cabine.
Il communiqua les ordres qu'il avait re?us, et aussit?t dix de ses compagnons s'offrirent à l'envi pour les exécuter.
S'étant armés de longues piques à glace, d'arquebuses et de haches d'abordage, nos hommes montèrent par l'échelle de la construction en planches qui recouvrait le pont du navire, et qu'on avait élevée autant pour abriter l'intérieur contre les rigueurs du climat que pour renfermer des approvisionnements.
Chef de timonerie à bord de la Catherine, Jean Morbihan occupait le premier rang, après ma?tre Jacques. Il distribua un verre d'eau-de-vie et quelques vivres à ses hommes; puis tous quittèrent le vaisseau pour commencer leur expédition.
En dépit du froid, ils s'étaient mis gaiement en route, quand le premier qui parvint au fa?te du m?le de glace dont le batiment était fortifié, poussa un cri d'émoi.
--Qu'y a-t-il? interrogea Jean Morbihan, pressant le pas.
Pour toute réponse, l'autre étendit son bras vers le sud.
Dans cette direction, on distinguait, à plusieurs milles de distance, une horde d'individus qui couraient vers le navire.
--Ce sont les sauvages! lit Jean, en portant un sifflet à ses lèvres.
A son appel, les matelots restés dans le vaisseau arrivèrent précipitamment. Ma?tre Jacques les suivit de près.
--Regardez! lui dit Morbihan.
Le capitaine avait la vue excellente. Il distinguait les objets A des distances prodigieuses. Ayant porté ses yeux à l'horizon, il s'écria:
--Par ma Catherine! ce sont les sauvages! Les coquins sont nombreux et s'avancent de notre coté. Mais voici qui est étrange, bien étrange! On dirait qu'ils pourchassent l'un des leurs qui les précède d'une, centaine de pas, autant que je puis juger... Oui, c'est cela... Le poursuivi file à toutes jambes... Il porte quelque chose dans ses bras... Les autres lui décochent des flèches. Ah! le malheureux trébuche; il tombe... Ses persécuteurs vont l'atteindre... Non; le voici qui se relève... Bravo! courage! volons à son aide!...
En pronon?ant ces mots, ma?tre, Jacques se jetait en bas du monticule et s'élan?ait, accompagné de ses matelots, au secours du misérable, dont il venait, en quelques mots, de peindre la périlleuse situation.
Bient?t, on le put voir parfaitement, et l'on put entendre les infernales vociférations de ceux qui lui donnaient la chasse.
--Arrêtons-nous et préparez vos arquebuses, ordonna ma?tre Jacques. Mais visez juste et de fa?on à ne pas toucher ce pauvre hère.
Quoique les sauvages fussent encore éloignés de plus d'un mille, cinq minutes après, ils arrivèrent à portée des armes à feu.
Une décharge fut commandée et exécutée à l'instant.
Au bruit de cette arquebusade, les Peaux-Rouges épouvantés, se débandèrent et prirent la fuite, en laissant plusieurs morts et mourants sur le théatre de l'action.
Parmi ces derniers, mais en avant d'eux, était tombé l'individu dont la cruelle position avait si fort soulevé l'intérêt de ma?tre Jacques.
Instinctivement, poussé par sa bienveillance naturelle, le capitaine s'approcha de lui. L'infortuné était étendu immobile sur le dos.
--Sauvez ma fille! pour l'amour de Dieu, si vous êtes chrétiens, sauvez ma fille! murmura-t-il, en fran?ais, d'une voix faible.
Et ses yeux se portaient avec anxiété vers une sorte de paquet de pelleteries qui, lui ayant échappé dans sa chute, avait roulé sur la glace.
Surpris au dernier point, car cet individu était vêtu, comme les sauvages, de peaux de caribou, et avait le visage peint en rouge comme le leur, Jacques demeura un moment interdit; mais, reprenant bien vite son sang-froid, il demanda au blessé qui il était.
--Sauvez ma fille, sauvez mon enfant! répétait celui-ci avec égarement.
Ma?tre Jacques ramassa le
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 88
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.