ici, comme dans la première définition, des troubles survenus intentionnellement et des troubles survenus spontanément et non intentionnellement. En effet, reprenant notre exemple dans lequel le physiologiste coupe le nerf facial pour en conna?tre les fonctions, je suppose, ce qui est arrivé souvent, qu'une balle, un coup de sabre, une carie du rocher viennent à couper ou à détruire le facial; il en résultera fortuitement une paralysie du mouvement, c'est-à-dire un trouble qui est exactement le même que celui que le physiologiste aurait déterminé intentionnellement.
Il en sera de même d'une infinité de lésions pathologiques qui sont de véritables expériences dont le médecin et le physiologiste tirent profit, sans que cependant il y ait de leur part aucune préméditation pour provoquer ces lésions qui sont le fait de la maladie. Je signale dès à présent cette idée parce qu'elle nous sera utile plus tard pour prouver que la médecine possède de véritables expériences, bien que ces dernières soient spontanées et non provoquées par le médecin[4].
Je ferai encore une remarque qui servira de conclusion. Si en effet on caractérise l'expérience par une variation ou par un trouble apportés dans un phénomène, ce n'est qu'autant qu'on sous- entend qu'il faut faire la comparaison de ce trouble avec l'état normal. L'expérience n'étant en effet qu'un jugement, elle exige nécessairement comparaison entre deux choses, et ce qui est intentionnel ou actif dans l'expérience, c'est réellement la comparaison que l'esprit veut faire. Or, que la perturbation soit produite par accident ou autrement, l'esprit de l'expérimentateur n'en compare pas moins bien. Il n'est donc pas nécessaire que l'un des faits à comparer soit considéré comme un trouble; d'autant plus qu'il n'y a dans la nature rien de troublé ni d'anormal; tout se passe suivant des lois qui sont absolues, c'est-à-dire toujours normales et déterminées. Les effets varient en raison des conditions qui les manifestent, mais les lois ne varient pas. L'état physiologique et l'état pathologique sont régis par les mêmes forces, et ils ne diffèrent que par les conditions particulières dans lesquelles la loi vitale se manifeste.
§ II. -- Acquérir de l'expérience et s'appuyer sur l'observation est autre chose que faire des expériences et faire des observations.
Le reproche général que j'adresserai aux définitions qui précèdent, c'est d'avoir donné aux mots un sens trop circonscrit en ne tenant compte que de l'art de l'investigation, au lieu d'envisager en même temps l'observation et l'expérience comme les deux termes extrêmes du raisonnement expérimental. Aussi voyons- nous ces définitions manquer de clarté et de généralité. Je pense donc que, pour donner à la définition toute son utilité et toute sa valeur, il faut distinguer ce qui appartient au procédé d'investigation employé pour obtenir les faits, de ce qui appartient au procédé intellectuel qui les met en oeuvre et en fait à la fois le point d'appui et le criterium de la méthode expérimentale.
Dans la langue fran?aise, le mot expérience au singulier signifie d'une manière générale et abstraite l'instruction acquise par l'usage de la vie. Quand on applique à un médecin le mot expérience pris au singulier, il exprime l'instruction qu'il a acquise par l'exercice de la médecine. Il en est de même pour les autres professions, et c'est dans ce sens que l'on dit qu'un homme a acquis de l'expérience, qu'il a de l'expérience. Ensuite on a donné par extension et dans un sens concret le nom d'expériences aux faits qui nous fournissent cette instruction expérimentale des choses.
Le mot observation, au singulier, dans son acception générale et abstraite, signifie la constatation exacte d'un fait à l'aide de moyens d'investigation et d'études appropriées à cette constatation. Par extension et dans un sens concret, on a donné aussi le nom d'observations aux faits constatés, et c'est dans ce sens que l'on dit observations médicales, observations astronomiques, etc.
Quand on parle d'une manière concrète, et quand on dit faire des expériences ou faire des observations, cela signifie qu'on se livre à l'investigation et à la recherche, que l'on tente des essais, des épreuves, dans le but d'acquérir des faits dont l'esprit, à l'aide du raisonnement, pourra tirer une connaissance ou une instruction.
Quand on parle d'une manière abstraite et quand on dit s'appuyer sur l'observation et acquérir de l'expérience, cela signifie que l'observation est le point d'appui de l'esprit qui raisonne, et l'expérience le point d'appui de l'esprit qui conclut ou mieux encore le fruit d'un raisonnement juste appliqué à l'interprétation des faits. D'où il suit que l'on peut acquérir de l'expérience sans faire des expériences, par cela seul qu'on raisonne convenablement sur les faits bien établis, de même que l'on peut faire des expériences et des observations sans acquérir de l'expérience, si l'on se borne à la constatation des faits.
L'observation est donc ce qui montre les faits; l'expérience est ce qui instruit sur les faits et ce qui donne de l'expérience relativement à une chose.
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