Introduction à létude de la médecine expérimentale | Page 2

Claude Bernard
CHAPITRE II EXEMPLES DE CRITIQUE EXPéRIMENTALE PHYSIOLOGIQUE. § I. -- Le principe du déterminisme expérimental n'admet pas des faits contradictoires. § II -- Le principe du déterminisme repousse de la science les faits indéterminés ou irrationnels. § III. -- Le principe du déterminisme exige que les faits soient comparativement déterminés. § IV. -- La critique expérimentale ne doit porter que sur des faits et jamais sur des mots. CHAPITRE III. DE L'INVESTIGATION ET DE LA CRITIQUE APPLIQUéES à LA MéDECINE EXPéRIMENTALE. § I. -- De l'investigation pathologique et thérapeutique. § II. -- De la critique expérimentale pathologique et thérapeutique. CHAPITRE IV. DES OBSTACLES PHILOSOPHIQUES QUE RENCONTRE LA MéDECINE EXPéRIMENTALE. §I. -- De la fausse application de la physiologie à la médecine. § II. -- L'ignorance scientifique et certaines illusions de l'esprit médical sont un obstacle au développement de la médecine expérimentale. § III. -- La médecine empirique et la médecine expérimentale ne sont point incompatibles; elles doivent être au contraire inséparables l'une de l'autre. § IV. -- La médecine expérimentale ne répond à aucune doctrine médicale ni à aucun système philosophique.

Conserver la santé et guérir les maladies: tel est le problème que la médecine a posé dès son origine et dont elle poursuit encore la solution scientifique[1]. L'état actuel de la pratique médicale donne à présumer que cette solution se fera encore longtemps chercher. Cependant, dans sa marche à travers les siècles, la médecine, constamment forcée d'agir, a tenté d'innombrables essais dans le domaine de l'empirisme et en a tiré d'utiles enseignements. Si elle a été sillonnée et bouleversée par des systèmes de toute espèce que leur fragilité a fait successivement dispara?tre, elle n'en a pas moins exécuté des recherches, acquis des notions et entassé des matériaux précieux, qui auront plus tard leur place et leur signification dans la médecine scientifique. De notre temps, grace aux développements considérables et aux secours puissants des sciences physico- chimiques, l'étude des phénomènes de la vie, soit à l'état normal, soit à l'état pathologique, a accompli des progrès surprenants qui chaque jour se multiplient davantage.
Il est ainsi évident pour tout esprit non prévenu que la médecine se dirige vers sa voie scientifique définitive. Par la seule marche naturelle de son évolution, elle abandonne peu à peu la région des systèmes pour revêtir de plus en plus la forme analytique, et rentrer ainsi graduellement dans la méthode d'investigation commune aux sciences expérimentales.
Pour embrasser le problème médical dans son entier, la médecine expérimentale doit comprendre trois parties fondamentales: la physiologie, la pathologie et la thérapeutique. La connaissance des causes des phénomènes de la vie à l'état normal, c'est-à-dire la physiologie, nous apprendra à maintenir les conditions normales de la vie et à conserver la santé. La connaissance des maladies et des causes qui les déterminent, c'est-à-dire la pathologie, nous conduira, d'un c?té, à prévenir le développement de ces conditions morbides, et de l'autre à en combattre les effets par des agents médicamenteux, c'est-à-dire à guérir les maladies.
Pendant la période empirique de la médecine, qui sans doute devra se prolonger encore longtemps, la physiologie, la pathologie et la thérapeutique ont pu marcher séparément, parce que, n'étant constituées ni les unes ni les autres, elles n'avaient pas à se donner un mutuel appui dans la pratique médicale. Mais dans la conception de la médecine scientifique, il ne saurait en être ainsi; sa base doit être la physiologie. La science ne s'établissant que par voie de comparaison, la connaissance de l'état pathologique ou anormal ne saurait être obtenue, sans la connaissance de l'état normal, de même que l'action thérapeutique sur l'organisme des agents anormaux ou médicaments, ne saurait être comprise scientifiquement sans l'étude préalable de l'action physiologique des agents normaux qui entretiennent les phénomènes de la vie.
Mais la médecine scientifique ne peut se constituer, ainsi que les autres sciences, que par voie expérimentale, c'est-à-dire par l'application immédiate et rigoureuse du raisonnement aux faits que l'observation et l'expérimentation nous fournissent. La méthode expérimentale, considérée en elle-même, n'est rien autre chose qu'un raisonnement à l'aide duquel nous soumettons méthodiquement nos idées à l'expérience des faits.
Le raisonnement est toujours le même, aussi bien dans les sciences qui étudient les êtres vivants que dans celles qui s'occupent des corps bruts. Mais, dans chaque genre de science, les phénomènes varient et présentent une complexité et des difficultés d'investigation qui leur sont propres. C'est ce qui fait que les principes de l'expérimentation, ainsi que nous le verrons plus tard, sont incomparablement plus difficiles à appliquer à la médecine et aux phénomènes des corps vivants qu'à la physique et aux phénomènes des corps bruts.
Le raisonnement sera toujours juste quand il s'exercera sur des notions exactes et sur des faits précis; mais il ne pourra conduire qu'à l'erreur toutes les fois que les notions ou les faits sur lesquels il s'appuie seront primitivement entachés d'erreur ou d'inexactitude.
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