Infernaliana | Page 9

Ch. Nodier
approche; c'est à toi que je
remets ces témoins muets. Non contens de ce meurtre abominable, les
lâches se sont encore emparés de l'argent que je portais et de quatre
médailles; ils en ont chacun deux sur eux en ce moment.»
»Voilà, juges et concitoyens, ce que j'avais à dire. La mort redemande
sa proie; la nature ne peut souffrir plus long-temps que son ordre soit
troublé. Mon corps va se rendre au néant et mon âme à sa destination.»
A mesure qu'Olivier prononçait ces derniers mots d'une voix faible et
languissante, on voyait son corps se flétrir, son visage se décolorer, son
oeil s'éteindre; il retomba enfin dans l'état de mort, dont une main

puissante venait de le retirer. Un engourdissement profond, une froide
stupeur s'étaient emparés de l'assemblée à la vue de ce prodige; mais
bientôt des cris d'indignation succédèrent au plus morne silence. Tous
les indices donnés par Olivier, furent vérifiés et trouvés véritables. Les
scélérats furent condamnés au dernier supplice, et traînés sur l'échafaud,
où ils expirèrent chargés de malédictions.
Olivier vengé, apparut à Baudouin, sous la forme aérienne que nous
donnons aux anges de lumière. Il engagea son ami à épouser la
charmante Appolline; et le vengeur d'Olivier devint aisément son
successeur. Le père d'Appolline mourut de chagrin d'avoir vu son fils
monter sur l'échafaud. Sa mort laissa sa fille libre de contracter un
mariage auquel ses autres parens l'engageaient vivement. Les deux
époux vinrent s'établir à Paris; leur union fut heureuse, et Olivier, sans
cesse présent aux yeux de Baudouin, lui servit de guide jusqu'à la mort.

SPECTRES QUI EXCITENT LA TEMPÊTE
Le prince de Radziville, dans son Voyage de Jérusalem, raconte une
chose fort singulière dont il a été le témoin:
Il avait acheté en Égypte deux momies, l'une d'homme, l'autre de
femme, et les avait enfermées secrètement dans des caisses qu'il fit
mettre dans son vaisseau, lorsqu'il s'embarqua à Alexandrie pour
revenir en Europe. Il n'y avait que lui et deux domestiques qui le
sussent, parce que les Turcs ne permettent que difficilement qu'on
emporte ces momies, croyant que les chrétiens s'en servent pour des
opérations magiques. Lorsqu'on fut en mer, il s'éleva une tempête qui
revint à plusieurs reprises avec tant de violence, que le pilote
désespérait de sauver son vaisseau. Tout le monde était dans l'attente
d'un naufrage prochain et inévitable. Un bon prêtre polonais, qui
accompagnait le prince de Radziville, récitait les prières convenables à
une telle circonstance; le prince et sa suite y répondaient. Mais, le
prêtre était tourmenté, disait-il, par deux spectres (un homme et une
femme), noirs et hideux, qui le harcelaient et le menaçaient de le faire
mourir. On crut d'abord que la frayeur et le danger du naufrage lui avait

troublé l'imagination. Le calme étant revenu, il parut tranquille; mais la
tempête recommença bientôt. Alors ces fantômes le tourmentèrent plus
fort qu'auparavant, et il n'en fut délivré que quand on eût jeté les deux
momies à la mer, ce qui fit en même temps cesser la tempête.

L'ESPRIT DU CHÂTEAU D'EGMONT.
ANECDOTE.
On lit l'anecdote qui suit dans le Segraisiana: «M. Patris avait suivi M.
Gaston en Flandre; il logea dans le château d'Egmont. L'heure du dîner
étant venue, et étant sorti de sa chambre pour se rendre au lieu où il
mangeait, il s'arrêta en passant à la porte d'un officier de ses amis, pour
le prendre avec lui. Il heurta assez fort. Voyant que l'officier ne venait
pas, il frappa une seconde fois, en l'appelant par son nom. L'officier ne
répondit point. Patris ne doutant pas qu'il ne fut dans sa chambre, parce
que la clef était à la porte, ouvrit, et vit en entrant son ami assis devant
une table et comme hors de lui-même».
Il s'approcha de fort près et lui demanda ce qu'il avait? L'officier
revenant à lui, dit à son ami: «Vous ne seriez pas moins surpris que je
le suis, si vous aviez vu comme moi ce livre changer de place, et les
feuillets se tourner d'eux-mêmes». C'était le livre de Cardan sur la
subtilité.--«Bon! dit Patris, vous vous moquez; vous aviez l'imagination
remplie de ce que vous venez de lire, vous vous êtes levé de votre place,
vous avez mis vous-même le livre à l'endroit où il est, vous êtes revenu
ensuite à votre fauteuil, et ne trouvant plus votre livre auprès de vous,
vous avez cru qu'il était allé là tout seul. Ce que je vous dis est très-vrai,
reprit l'officier, et pour marque que ce n'est pas une vision, c'est que la
porte que voilà s'est ouverte et refermée, et c'est par-là que l'esprit s'est
retiré[1].....» Patris alla ouvrir cette porte qui donnait sur une galerie
assez longue, au bout de laquelle il y avait une grande chaise de bois, si
pesante que deux
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