expédié pendant trois ans dans la capitale, où tu m'as mangé cinquante francs par mois à étudier la chicane; maintenant encore je te donne quatre-vingt-dix francs par trimestre, pour que tu te perfectionnes ici dans l'art de plumer tes concitoyens, comme huissier, avoué ou notaire; mais mon cher enfant, ne m'en demande pas davantage!?
Et je n'en demandais pas d'avantage, en effet, je prenais le papier timbré en patience, j'attendais qu'un huissier v?nt à mourir pour prendre sa place, ou même un avoué.
Un huissier? Je pouvais l'espérer. Un avoué? Je pouvais le désirer. Mais un notaire! Oh! c'est un rêve! Et cependant... Angéline, je le sais, n'épousera pas moins qu'un notaire. Je la connais. Elle est fière, elle a le coeur haut, elle est fille de notaire, elle ne voudra pas descendre jusqu'à un avoué!...
Comme j'en étais là de mes réflexions, car, au lieu de rédiger le contrat de Michel Bernard et d'Hyacinthe Forestier, je pensais à mademoiselle Angéline Bouchardy, fille de mon patron, j'entendis tout à coup un pas léger le long de l'escalier et un fr?lement de robe de grenadine qui ne m'était pas inconnu.
Je regardai si la seconde porte de l'étude, celle qui séparait le second et le troisième clerc de moi, leur chef et de ma?tre Bouchardy, leur patron, était bien fermée, et j'attendis avec une douce anxiété ce qui allait suivre.
Oh! mon Dieu, ce qui suivit fut ce que j'espérais. Une main adroite et légère tourna le pène de la serrure, ouvrit la porte; Mlle Angéline parut et s'écria d'un air étonné:
--Ah!
Son étonnement ne m'étonna pas, comme vous pensez bien, car j'y étais habitué; et je me levai avec empressement pour montrer mon zèle.
Elle me regarda en riant et dit:
--Je croyais que mon père était ici.
Si elle le croyait, Dieu seul peut le savoir. Quant à moi, je répliquai:
--Mademoiselle, il vient de sortir tout à l'heure avec M. Saumonet.
Elle reprit, en fron?ant légèrement les sourcils:
--J'en suis bien fachée... Je voulais le consulter. C'est très désagréable... Il faut se décider tout de suite.
Je la regardais. Elle regardait ses bottines d'un air souriant et embarrassé. A la fin elle me dit:
--Mon père est allé d?ner chez M. Forestier, à l'occasion du contrat, n'est-ce pas?
--Oui, mademoiselle.
--Eh bien! il me laisse dans un embarras terrible. Je suis invitée, moi, à prendre le thé; il y aura sans doute beaucoup de monde; quelle robe dois-je mettre?
Et comme j'hésitais, elle reprit impétueusement:
--Voyons, ne me dissimulez rien, monsieur Trapoiseau. Une robe de soie, une robe d'organdi, une robe de satin, une robe de brocart brodée d'or?... Répondez: mais répondez donc, puisque mon père n'est pas là pour répondre!
Je baissai la tête, en étendant les bras, pour indiquer mon embarras:
--Mademoiselle je suis perplexe; je suis vraiment perplexe... Je suis au fond de la plus profonde perplexité.
--Alors vous ne savez pas si je dois être en blanc, en rose, en bleu, en gris ou en noir?
--Comment pourrais-je le savoir, mademoiselle?
--En étudiant la question dans les bons auteurs, monsieur Trapoiseau!
Elle fit quelques tours dans l'étude comme un chardonneret dans sa cage, en ayant l'air de regarder les livres de la bibliothèque et de faire un choix; puis, elle s'arrêta, appuya sur mon bureau ses deux belles mains, un peu grandes et même un peu rouges, mais bien faites et demanda:
--Vous serez des n?tres, ce soir, chez madame Forestier?
Je répondis modestement:
--Oui, mademoiselle;... c'est-à-dire que je suis invité à porter le papier timbré, le contrat, l'encrier et les plumes...
Elle répliqua d'un air de douce autorité:
--Vous êtes invité; je le sais. Hyacinthe me l'a dit. On dansera. Vous me ferez vis-à-vis...
--Ah! mademoiselle!... Mais personne ne m'a dit que je fusse invité...
--Eh bien! je vous le dis, moi... Vous me ferez donc vis-à-vis, à moins...
Ici elle hésita, ou fit semblant.
Je demandai, le coeur palpitant:
--A moins?...
--A moins que vous ne préfériez me demander vous-même la première contredanse.
O joie! ? bonheur! J'avais une terrible envie de tomber aux pieds d'Angéline et de les baiser avec la piété qu'on doit aux anges du Seigneur; mais elle s'en aper?ut et s'écria tout à coup:
--Qu'est-ce que vous faisiez là, quand je suis entrée?
--Mademoiselle, je rédigeais ou plut?t je me préparais à rédiger le contrat...
--D'Hyacinthe?
--Oui, mademoiselle.
Elle se pencha anxieusement, et, ne voyant rien qu'un papier timbré privé de toute souillure, me dit:
--C'est ?a le contrat?
--Oui, mademoiselle.
--Et vous n'avez rien fait?
--J'allais commencer.
--Alors, je me sauve.
En effet, elle ouvrit la porte et me dit à demi-voix:
--N'oubliez pas de venir en habit, avec des gants... Hyacinthe compte sur vous..., toutes ces dames aussi.
Elle fit une pause et ajouta:
--Moi surtout... A ce soir, monsieur Félix!
--A ce soir, mademoiselle!
La porte se referma, et je restai seul avec mon contrat à rédiger.
Eh bien, me croira qui voudra, cet ?à ce soir, monsieur Félix?? m'avait rendu le plus heureux des hommes. C'est la première fois qu'elle m'appelait de mon nom de baptême. Jusque-là
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.