Humoresques | Page 9

Tristan Klingsor
fourrés de haut prix.
Les belles dames de Paris
Du Pont-Neuf à la Concorde
Ont de
beaux visages poudrés de riz
Et de mignonnes mains gantées de gris.
Mais elles ont mieux
Pour les galants audacieux,
Elles ont mieux
encore
Que beaux habits et beaux yeux;
Elles ont mieux que fraîches mines
Malicieuses de souris:
Elles ont
de gracieux corps
Sous les chemises fines;
Elles ont cuisses et jambes jolies
Et veloutées comme fleur ou fruit

Dans leur lit,
Les belles dames de Paris.
LE CHAPERON
Chaperon est petit chapeau rond
Fleuri de roses,
Avec une plume
d'oiselle,
Et qu'une main délicate pose
Au haut d'un front
De très
mignonne damoiselle.
Chaperon est encor maigre sorcière
A nez crochu, doigts effilés
Et
manteau fourré de renard,
Qui tient les pucelages sous clé
Et garde
la vertu dans une souricière
A l'abri des chats blancs ou noirs.

Chaperon est petit chapeau rose ou bleu
De satin ou de fin velours
ouvré;
Est aussi vieille gardeuse de pucelles:
Entendez-le,
Mes
beaux messieurs et vous mes belles jouvencelles,
Entendez-le comme
vous voudrez.
FRÈRE JACQUES
Frère Jacques, dormez-vous
Avec votre bonnet de coton sur l'oreille?

N'entendez-vous pas le carillon sans pareil
De toutes les cloches
dans les tourelles?
Etes-vous devenu sourd ou fou?
Et la Marion que fait-elle
Pour que sa fenêtre soit encor fermée?

Monsieur le vicaire est à l'autel:
N'a-t-elle pas mis son fichu de
dentelle
Et pris son rameau de mai?
Ah! Ah! voulez-vous qu'on dise:
Frère Jacques couche avec la
Marion
Qui a la cuisse ronde et le pied mignon
Plutôt que d'aller à
l'église
Faire tinter le carillon?
Au revoir, au revoir, frère Jacques:
Dormez ou faites le sourd,
Tout
le monde connaît les tours
Que la Marion a dans son sac
Pour
retenir au lit les vieux braguards d'amour.
L'OREILLER
Cuisse de femme est douce chose
Plus douce au toucher que velours
soyeux
Et plus rose aux yeux
Que pétales de roses:
Cuisse de
femme est douce chose.
Ni oreiller de duvet d'oie
Ni lit de laine molle garni,
Ni vieux
fauteuil couvert de soie,
Ni chaise à porteurs d'autrefois,
Ni
coussins de satin mauve,
Ni le trône du prince de Bohême,
Ni
même,
Je crois,
Le carrosse de Louis Quatorze,
Ne valent si
précieux nid:
Cuisse de femme est douce chose
Et tour à tour délice
de pauvre
Ou joie de roi.

LE SEIGNEUR DE HOCHEQUEUE
Parce que la besogne d'amour qui grise
De si douce sorte les
jouvenceaux
Effrontés ou sots,
Devient dure aux sires à barbe grise,
Et que sa bonne dame s'amuse à la besogne
Autant que nonnain rusée

De France ou de Gascogne
Pour plaire au diable peut s'amuser,
Entre son feu, des huîtres, une géline,
Deux fioles et un pâté de Tours,

Le vieux seigneur de Hochequeue dodeline
Sa tête blanche sous
son bonnet de velours.
Et pendant que sa dame confesse ses péchés
Au petit chapelain
mignon dans l'oratoire,
Et que l'échanson et la servante vont chercher

Quelque fine bouteille à boire,
Il appelle son lévrier par la porte ouverte
Et cueille d'un geste
négligent
La dernière huître verte
Qui baille à mourir dans un plat
d'argent.
LE LIT CHAUFFÉ
Commère il faut chauffer le lit,
Minuit sonne,
Minuit sonne au
carillon;
Il ne reste plus personne,
Ni laideron, ni jolie,
Pour
danser aux violons.
Au dehors le froid gèle le nez
Des amoureux qu'on oublie
Et qui
font le pied de grue,
Tandis que les cocus mal encapuchonnés

Veillent dans la rue;
Commère, il faut chauffer le lit.
Ote ton corset que tes tétons brisent
Et tes jarretières agrafées
Qui
laissent sur tes cuisses leur marque rougie
Et moi je viendrai haut
trousser ta chemise,
Quand tu auras soufflé la bougie
Et quand le lit
sera chauffé.
LES MUSICIENS GALANTS

Accorde ta fausse mandoline
Joli clerc en herbe: ré, sol, mi, la:
La
mignonne en rira sous sa capeline,
La mignonne qui passera par là.
Les barbons moroses s'encapuchonnent
En leurs manteaux fourrés
d'hermine
Et les amoureux transis de Bourgogne
Sous la bise font
triste mine.
Le froid pince aux cordes des guitares
Les doigts des musiciens sous
le balcon,
Des musiciens venus trop tard,
Et cramoisit leurs nez
rubiconds.
Remportez vos bouquets, messeigneurs;
Colombine a ce soir soufflé
sa chandelle:
Peut-être aurez-vous demain sort meilleur
Si son
jaloux d'Arlequin n'est pas près d'elle.
Et pendant que ce vieux fou de duc traîne
Encor sa rapière d'un air
méprisant,
En son lit la vive et friande châtelaine
Dépucèle son petit
page de quinze ans.
LE POSTILLON DE LONGJUMEAU
Bon postillon de Longjumeau
En habit rouge, en gilet bleu,
En
culotte blanche de peau,
Bon postillon de Longjumeau
Arrête un
peu.
Bon postillon de Longjumeau
Avec ce tronc de cône que tu inclines

Sur ton oreille en guise de chapeau,
Bon postillon de Longjumeau

Arrête ta berline.
Je veux monter dans ta guimbarde
Et tu pourras fouetter ta haridelle,

Car il me tarde
D'être auprès de la belle
Dont je suis l'amant
fidèle.
La route est fleurie et jolie à suivre;
Fais carillonner tout le long
l'argentine
Sonnerie des grelots de cuivre,
Et fais envoler la
poussière fine
Sous les roues de ta berline.

A la croisée de son château m'attend celle
Aux yeux d'or vert troublés
d'émoi,
Aux lèvres chères de jouvencelle;
Bon postillon de
Longjumeau, grimpe en selle
Et vite, vite, emmène-moi.
Galope et tu auras vingt beaux sols français,
Bon postillon de
Longjumeau, vingt ou trente,
Et de plus quand ma mie ôtera son
corset,
Tu pourras toi aussi caresser la servante,
D'une main leste,
jusqu'où tu sais.
LE MÉNÉTRIER
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