le privilège de réveiller l'attention. On appelle M. Defodon père.
M. Defodon est un vieillard, de taille moyenne, mais d'une maigreur effrayante. Il est atteint d'un tic nerveux auquel son émotion donne évidemment une force nouvelle. Sa tête et ses mains tremblent continuellement, il ne peut se tenir sur ses jambes. On est obligé de lui donner une chaise. Il parle à voix basse et par saccades.
Il pleure et, aux questions toutes bienveillantes du président, répond par une peinture rapide et affectueuse du caractère de son fils. C'était, dit-il, le meilleur enfant que l'on p?t trouver; doux, bienveillant, charitable. Il ne lui a jamais causé aucun chagrin. Le père ne tient aucun compte des quelques folies de jeunesse qu'on pouvait reprocher à son fils. C'est une monstruosité d'avoir tué un bon gar?on comme cela.
Dans un élan fébrile, il adjure le tribunal de le venger et de se montrer impitoyable.
On comprend l'effet que produisent sur l'auditoire ces quelques phrases, empreintes de la passion paternelle. L'accusé lui-même, pour la première fois, semble en proie à une vive émotion et se cache la tête dans les mains.
Après M. Defodon, on entend le médecin chargé de l'autopsie du corps.
D'après lui, le sujet était faible; le système nerveux excitable. Une pression violente a été exercée sur le cou, mais il pense que cette pression n'a pas été assez forte pour déterminer la mort. Le cerveau présentait des signes non équivoques de congestion. Le médecin pense qu'il y a eu simultanéité entre la congestion et les violences exercées, sans que cependant la connexion soit évidente; la strangulation semble avoir été la cause déterminante de la congestion, mais non la seule cause de la mort.
Quelques témoins sont rappelés et entendus de nouveau au sujet des propos tenus par Beaujon dans plusieurs discussions. Ils affirment la sincérité de leurs premières déclarations.
La parole est ensuite donnée au ministère public.
Je ne reproduirai pas ce discours, habilement composé, groupant avec intelligence et d'une fa?on dramatique tous les faits établissant la culpabilité de Beaujon.
Il termine ainsi:
?Depuis quelque temps les attentats contre les personnes viennent chaque jour effrayer la société: hier encore, un joueur assassinait un de ses compagnons de débauche. Aujourd'hui, c'est un crime d? à la jalousie, à un amour forcené, aveugle, et pour qui? Vous avez entendu, messieurs les jurés, vous avez entendu ces propos, empreints à la fois de cynisme et d'insensibilité absolue. Les mauvaises passions ne reculent devant aucune violence pour obtenir satisfaction. C'est alors, messieurs les jurés, que doit intervenir la société, sans crainte comme sans faiblesse. Un crime a été commis, sans excuse: car la passion inspirée par la fille Gangrelot est de celle qu'on ne saurait trop flétrir; un jeune homme, dont tous ceux qui le connaissent se plaisent à affirmer la douceur, l'intelligence, un jeune homme dont vous avez vu le père à cette barre, honorable vieillard que la mort de son fils a brisé, un jeune homme a été assassiné... il vous appartient de frapper le coupable, il vous appartient de relever le respect de la vie humaine et, avec lui, le respect de tout ce qui élève l'ame, le travail et la religion.?
L'avocat de l'accusé portait un grand nom; il ne faillit pas à sa tache. Sans s'arrêter outre mesure aux déclarations même de Beaujon, qu'il considérait comme empreintes d'une trop grande exagération dans le sens de l'atténuation, il établissait que la scène avait d? ainsi se développer:
évidemment il ne s'était élevé--ce soir-là--aucune discussion entre les deux amis; mais certains ressouvenirs donnaient à leurs rapports une sorte d'acrimonie dont ni l'un ni l'autre ne se rendait suffisamment compte. Defodon était dans un état de surexcitation maladive; un mot prononcé par Beaujon, mot involontaire puisque rien ne le lui rappelle, a d? exciter la colère du malade, qui s'est élancé de son lit sous l'empire d'une colère inconsciente, pour frapper celui qu'il considérait comme son insulteur. étonné de cette attaque que rien ne lui faisait prévoir, Beaujon s'est défendu. Ainsi que l'a constaté le praticien qui a procédé à l'autopsie, ce n'est pas la pression exercée sur le cou de Defodon qui a déterminé la mort, mais bien une congestion cérébrale produite par la colère et procédant d'une prédisposition morbide. Beaujon est donc absolument innocent, et il n'y a pas lieu de le condamner. L'avocat croit ne pas devoir insister. Les faits sont clairs, patents, il n'y a eu ni assassinat ni intention d'assassinat. Il n'y a là qu'un accident triste, pénible, douloureux, mais auquel la condamnation d'un innocent donnerait un caractère plus douloureux encore.
L'avocat termine en déclarant qu'il se confie à la haute sagesse du jury, auquel font défaut les éléments les plus simples d'une conviction contraire à l'accusé.
--Pas une preuve, s'écria-t-il, songez-y bien, messieurs les jurés, pas un indice certain. Au contraire, entre ces deux jeunes gens, amitié constante, dévouement mutuel. Ne
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