Histoires incroyables, Tome II | Page 3

Jules Lermina
les détails recueillis jettent sur cette mystérieuse affaire une lumière qui ne laisse aucune circonstance dans l'ombre.
?Jules Defodon est né à Rennes, le 1er mai 184... Il appartient à l'une des meilleures familles du pays, et son père a occupé un siège élevé dans la magistrature; il fut envoyé à Paris, il y a six ans, pour achever ses études de droit. Sa conduite fut pendant longtemps exemplaire. Mais peu à peu il se lia avec des jeunes gens de son age, et ses habitudes devinrent moins régulières. Nerveux et maladif, il se laissa entra?ner à des excès qui, sans cependant compromettre sérieusement son avenir, influèrent sur la marche de ses études. Au nombre de ces connaissances nouvelles, l'accusation signale Pierre Beaujon.
?L'homme qui est assis en ce moment sur le banc des accusés est né à Paris; il est agé de trois ans de moins que Defodon. étudiant en droit, il s'est signalé par son inexactitude aux cours, et ses échecs ont été nombreux dans les examens qu'il a subis. Orphelin dès son enfance, il n'a pas re?u les enseignements précieux de la famille. Rien cependant n'e?t prouvé en lui les tendances perverses qui devaient l'entra?ner jusqu'au crime, si une de ces liaisons, malheureusement trop fréquentes dans le monde des jeunes gens, ne f?t venue éveiller en lui des passions violentes.
?Une de ces femmes qui se font un jeu de l'honneur des familles, Annette Gangrelot, connue dans la société interlope sous le nom de la Bestia, attira les hommages de Beaujon qui en devint éperdument amoureux.
?Une rencontre fortuite la mit en relations avec Defodon, et elle ne tarda pas à s'abandonner également à lui.
?De là surgit entre les deux jeunes gens une haine sourde, peu apparente et qui devait éclater dans toute sa violence à la soirée du 23 avril.
?Annette Gangrelot partageait ses faveurs entre ses deux amis, qui se cachaient l'un de l'autre avec un soin égal. Cependant Beaujon semble s'être aper?u le premier des infidélités de sa ma?tresse; le 15 mars, dans un café du quartier latin, il s'écriait en parlant à cette fille: ?Si tu me trompais, je te tordrais le cou et puis ensuite à ton amant!?
?Une scène de violence se passa dans le même établissement quelques jours après. Beaujon, étant ivre, voulut frapper la Gangrelot, et lui tint ce langage odieux dont nous devons adoucir les termes: ?Si _tu as des relations_ avec quelqu'un, j'aime mieux que ce soit avec Defodon plut?t qu'avec tout autre.? Mais en pronon?ant ces paroles il était dans un tel état d'exaspération, que ses amis durent intervenir pour éviter un malheur, c'est l'expression employée par un des témoins.
?Les explications données par l'accusé peuvent se résumer ainsi:
?Ni lui, ni Defodon n'éprouvaient pour la fille Gangrelot d'affection sérieuse. Chacun d'eux connaissait parfaitement les relations que cette femme avait avec son camarade, et c'était d'un commun accord qu'ils s'amusaient, dit Beaujon, à feindre une jalousie qu'ils ne ressentaient pas.
?Sans nous arrêter à l'immoralité profonde que révélerait une pareille entente, d'ailleurs si peu naturelle et si invraisemblable, il convient d'arrêter son attention sur quelques détails probants.
?Lors d'une perquisition faite dans la chambre de Beaujon, il a été découvert une photographie de la fille Gangrelot, dont la tête avait été à demi lacérée à coups de canif; de plus, une lettre, trouvée sur son bureau, porte ces mots inachevés: ?Tu m'enlèves la Bestia... tu me le payeras!? Cette lettre était évidemment destinée à Defodon.
?Chez Defodon se trouvait une autre photographie de la même personne, avec ces mots écrits de la main de la victime: ?à toi mon coeur! à toi ma vie!? Il est donc indiscutable que ces deux jeunes gens éprouvaient pour la Gangrelot une passion réelle et que la jalousie les animait. Quelques jours avant le crime, ils eurent une discussion assez vive dans la pension où ils prenaient leurs repas; et Beaujon, saisissant un couteau, s'écria en s'adressant à Defodon: ?Je vais te dépouiller comme un lapin!? Cette discussion semblait d'ailleurs n'avoir pour prétexte qu'une plaisanterie; mais elle est évidemment l'indice d'un antagonisme toujours prêt à éclater et à se traduire en violences.
?Que s'est-il donc passé dans la soirée du 23 avril? Defodon et Beaujon étaient allés d?ner ensemble à leur pension bourgeoise. Rien ne paraissait indiquer une mésintelligence plus grande qu'à l'ordinaire. La conversation roula sur divers sujets insignifiants. Defodon semblait mal à l'aise; il parlait peu et se plaignait d'une sorte de faiblesse générale. était-il sous le coup d'un de ces pressentiments inexplicables, dont le secret n'a pu encore être saisi par la science? à la fin du d?ner, il manifesta l'intention de rentrer chez lui pour se mettre au lit. Un de ses amis, le nommé Singer, proposa de l'accompagner et de passer la soirée avec lui. Mais Beaujon intervint vivement, en disant:
?--Mais, ne suis-je pas là? Je lui
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