rapidement la figure d'avoir un aper?u d'ensemble dans le miroir trop petit et dont la surface ondulée déformait les lignes en mouvement.
Il prit par le chemin le plus long, tourna autour des patés de maisons et finit enfin par se lancer de l'autre c?té de la rue, à un moment où l'agent -- celui de la veille -- plaisantait avec une fille courtaude qui sortait. A un pas de la porte, il allait passer, son coeur lui donnait des coups dans la poitrine, lorsque l'agent se retourna, le nez sur lui:
- Mais je t'ai vu hier toi, le commissionnaire, lui dit le policier. Tu as un batt'chapeau aujourd'hui.
Plutarque essaya de sourire. L'autre continua:
- Tu as sans doute une autorisation, une plaque, quelque chose pour revenir quand je t'ai dit de f... le camp.
Plusieurs personnes s'étaient arrêtées, à c?té de la fille qui, le poing à la hanche, écoutait; la galerie était constituée: Plutarque était perdu.
- Non, répondit-il doucement, je n'ai rien, je travaille.
- Et tu te maquilles en commissionnaire, pour voler, salaud, reprit l'agent. Allez, allez, avec moi, on va voir ?a.
Il siffla un collègue qui tournait sur le trottoir d'en face, le pria de le remplacer et partit.
- ?a y est, pensa Plutarque, en marchant.
Comme il aurait mieux fait de ne pas venir, d'attendre au moins. Sans espoir maintenant, il essaya des explications:
- C'est vrai, M'sieur l'agent, je travaille, vous pouvez demander.
L'agent ne répondit pas.
- Et si je vous promets, Monsieur, de ne plus y aller, au marché... plus jamais.
- C'est fini la litanie, dit à haute voix le gardien.
Alors brusquement, une idée folle vint à Plutarque, une de ces idées stupides qui jaillissent soudainement en nous et qui compromettent tout: fuir.
Au premier coin de rue, il fit un bond brusque en arrière, fit un saut à droite et un à gauche pour dépister l'agent qui trébucha, et il partit de toute sa vitesse à grandes enjambées, avec une agilité de singe, courant comme il ne se serait jamais cru capable de courir, comme un fou. L'agent suivait derrière. Les rares passants se gardaient bien d'intervenir.
Plutarque voulait gagner les fortifications qu'il connaissait et où l'on peut se cacher et se perdre. Il menait son train. Il atteignit les pentes gazonnées du rempart près de Boulogne. Sa manoeuvre à travers les rues avait été si savante, sa chance si particulière, qu'en arrivant sur les talus, il n'était encore suivi que par son agent. Il escalada les escarpes, sauta dans les petits chemins et remonta sur le bord jusqu'à ce que brutalement une douleur à l'estomac l'averti qu'il était à bout, qu'il ne pouvait plus; un effondrement de terrain s'offrait, il le dégringola jusque dans le fossé. Là, il fit encore quelques pas et s'arrêta, appuyé au mur.
Il vit l'agent se rapprocher, tenir le coup, lui, plus fort sur ce chapitre aussi. Alors il sentit son couteau dans sa poche, il l'ouvrit, le cachant entre le mur et lui, et au moment précis où, dans la dernière foulée, son chasseur l'atteignait, Plutarque, exténué, lui enfon?a la lame dans le cou, sous l'oreille. L'agent roula par terre, abattu; sa rude main encore cramponnée au bras de Plutarque. Celui-ci, pour se dégager, dut le tra?ner quelques pas.
... Le lendemain, dans un bar de Suresnes, Plutarque était pris par des policiers habillés en bourgeois.
V
Après trois mois de prévention, Plutarque passait aux Assises. Son procès n'était pas celui d'une de ces affaires sensationnelles qui font tant de bruit à Paris. Il n'y avait pas de grand témoin; l'agent de police avait été guéri après dix jours d'h?pital, Plutarque avouait. C'était une petite affaire banale, comme il en a tant. Le public était peu nombreux. En comparaison avec l'apre froid du dehors, la chaleur était sèche et congestionnante, une de ces chaleurs administratives dont personne ne paye le combustible. On sentait le pétrole et la créosote. L'acte d'accusation était si long, et redisait des choses si souvent entendues à tous les degrés d'instruction, que Plutarque se sentit tout de suite loin de la comédie qui se jouait, comme s'il avait été un simple badaud spectateur et qu'il se f?t agi d'un autre; il trouvait ce spectacle terriblement ennuyeux. La mise en scène était ridicule; ces messieurs, costumés pour une semblable cérémonie, un peu grotesques en dépit de toutes les précautions, depuis le président qui paraissait être seul à travailler, jusqu'à cet huissier qu'on avait affublé d'une robe noire pour faire entrer les témoins. A part les jurés qui avaient l'air heureux d'enfants autorisés à toucher un fusil, tous les autres pensaient chacun à ses petites affaires, et c'était très naturel. Leur air de chiens fouettés s'accordait mal avec la solennité du décor et l'emphase des paroles, où revenaient à chaque instant de grands mots à majuscule: l'Honneur, la Justice, qui ne faisaient rien à l'histoire et
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