Histoire fantastique du célèbre Pierrot | Page 9

Alfred Assollant
le front de Pantafilando était d'un métal bien supérieur en dureté au diamant même. A peine fut-il étourdi du coup, et, sans s'arrêter à dégager son sabre, il saisit l'un des trois généraux qui l'avaient suivi, et qui regardaient le combat en silence, et le jeta sur Pierrot. Le malheureux Tartare alla frapper la muraille, et sa tête fut écrasée comme une grappe de raisin m?r que foule le pied du vendangeur. A ce coup, la reine et la princesse Bandoline, qui seules étaient restées dans la salle après la fuite des dames de la cour, s'évanouirent de frayeur.
Pierrot lui-même se sentit ému. Tous les autres spectateurs, immobiles et blêmes, s'effa?aient le long des murailles, et mesuraient de l'oeil la distance qui séparait les fenêtres du fleuve Jaune qui coulait au pied du palais. Malheureusement, Pantafilando avait fait fermer les portes dès le commencement du combat. Vantripan criait de toute sa force:
--C'est bien fait, seigneur Pantafilando, tuez-moi ce misérable qui ose porter la main sur mon gendre bien-aimé, sur l'oint du Seigneur!
Le prince Horribilis, non moins effrayé, priait Dieu à haute voix pour qu'il lan?at sa foudre sur ce téméraire, ce sacrilége Pierrot, qui osait attaquer son beau-frère et aimer sa soeur.
--Laches coquins, pensa Pierrot, si je meurs ils me feront jeter à la voirie, et si je suis vainqueur, ils recueilleront le fruit de ma victoire! J'ai bien envie de les laisser là et de faire ma paix avec Pantafilando. Rien n'est plus facile; mais faut-il abandonner Bandoline?
Tout à coup il s'aper?ut que sa belle princesse était évanouie. En même temps, Pantafilando ouvrant la porte, criait à ses Tartares de venir à son secours. Je serais bien fou de les attendre, dit Pierrot; et prenant son élan, d'une main il saisit sa bien-aimée par le milieu du corps, de l'autre il ouvrit la fenêtre, puis s'élan?a dans le fleuve Jaune avec Bandoline.
Son action fut si prompte et si imprévue que le géant n'eut pas le temps de s'y opposer. Il vit avec une rage impuissante Pierrot nager jusqu'à la rive opposée, et là, rendre graces au ciel qui avait sauvé sa princesse et lui d'un épouvantable malheur.
Aux cris de Pantafilando, les cent mille Tartares mirent pied à terre en même temps et montèrent dans le palais. On entendait sonner leurs éperons sur les degrés.
--Grand empereur, s'écria le premier qui parut sur le seuil de la porte, que voulez-vous? Faut-il piller? faut-il tuer? faut-il br?ler? nous sommes prêts.
--Tu arrives toujours trop tard, imbécile, lui cria le géant.
En même temps d'un soufflet il le fit pirouetter sur lui-même et le jeta sur le second, celui-ci se renversa sur le troisième, le troisième sur le quatrième, et tous jusqu'au dernier des cent mille tombèrent les uns sur les autres comme un chateau de cartes, tant ce premier soufflet avait de force!
Quand ils se furent relevés:
--Prenez des barques, leur dit le géant, passez le fleuve, et courez sur Pierrot: vous me le ramènerez mort ou vif. Si vous revenez sans lui, je vous couperai la tête à tous.
Ces paroles donnèrent du courage à tout le monde. On se précipita dans des bateaux, on traversa le fleuve, on chercha la trace de Pierrot. On ne trouva rien.
Pierrot avait disparu ainsi que Bandoline. Les malheureux Tartares revinrent la tête basse comme des chiens de chasse qui ont manqué le gibier. Pantafilando leur fit couper à tous l'oreille droite, et fit jeter ces oreilles dans les rues pour effrayer les Chinois et leur apprendre à quel nouveau ma?tre ils avaient affaire.
Vantripan et Horribilis ne furent pas les derniers à féliciter le grand Pantafilando de cet acte de justice. La reine garda le silence. Elle ne pouvait ha?r sa fille, qui avait essayé d'échapper au géant, et, d'un autre c?té, comment excuser une jeune princesse qui se jetait à l'eau avec le fils d'un meunier?
Pendant ce temps, qu'étaient devenus Pierrot et la belle Bandoline? Vous le saurez, mes amis, si vous voulez lire le chapitre suivant.

II
DEUXIèME AVENTURE DE PIERROT
PIERROT RESTAURE LES DYNASTIES
La fra?cheur de l'eau avait rendu à la belle Bandoline l'usage de ses sens. Pierrot en profita pour lui expliquer rapidement par quelle aventure il lui faisait traverser le fleuve Jaune à la nage d'une manière si inconvenable et si inusitée pour une grande princesse; il termina son discours par mille protestations de dévouement.
Bandoline fit attendre sa réponse. Elle ne savait si elle devait rire ou se facher, rire de la déconvenue du terrible Pantafilando qui avait cru l'épouser, ou se facher de l'audace de Pierrot qui avait osé, sans la consulter, la jeter à l'eau; qui l'en avait, il est vrai, retirée, mais qui montrait un dévouement trop ardent pour être longtemps désintéressé. Elle se tira d'embarras en disant que, quoiqu'il y e?t dans les détails de l'affaire quelque chose de répréhensible, cependant, en gros,
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