Histoire fantastique du célèbre Pierrot | Page 7

Alfred Assollant
que toutes les vitres de la salle se brisèrent en éclats.
--Diable! dit Pierrot, les affaires vont mal.
Vantripan était assis sur son tr?ne. Sa famille était à ses c?tés avec toute la cour; mais au seul bruit de la voix de Pantafilando, toutes les dames s'enfuirent saisies d'une terreur panique. Les courtisans auraient bien voulu suivre cet exemple; mais les portes étaient trop étroites pour donner passage à tout le monde, et beaucoup furent forcés, ne pouvant fuir, de faire contre mauvaise fortune bon coeur.
--Quel est l'officier de garde aujourd'hui! s'écria Vantripan d'une voix mal assurée.
--C'est moi, sire, répondit Pierrot qui avait repris tout son sang-froid.
--Quelle est la consigne?
--De couper le cou à tous ceux qui entrent ici sans permission.
--Eh bien, pourquoi n'as-tu pas coupé le cou à cet immense Tartare, et pourquoi laisses-tu entrer ici le premier venu?
Pierrot allait répondre, le géant l'interrompit.
--Le premier venu! s'écria Pantafilando. Oui, certes, le premier venu de cent mille Tartares qui n'attendent à ta porte que mon signal pour te casser en mille morceaux, toi et ta ville de porcelaine et tes coquins de sujets, dont aucun n'ose me regarder en face.
--Prenez la peine de vous asseoir, monseigneur, dit alors Vantripan en présentant lui-même son fauteuil au géant, et excusez l'incivilité de mes officiers qui ne vous ont peut-être pas traité avec tous les égards dus à votre rang. Et, à propos, seigneur, à qui ai-je l'honneur de parler?
--Ah! ah! vieux cafard, dit le bruyant Pantafilando, tu ne me connais pas, mais à ma mine seule tu as deviné que j'étais un h?te illustre. Je suis le géant Pantafilando, si connu dans l'histoire; Pantafilando, empereur des ?les Inconnues, souverain des mers qui entourent le p?le et des neiges qui couvrent les monts Alta?; Pantafilando, qui a conquis le Beloutchistan, le Mazandéran et le Mongolistan; qui fait trembler l'Indoustan et la Cochinchine; qui rend muets comme des poissons le Turc et le Maure, et devant qui la terre frissonne comme l'arbre sur lequel souffle l'ouragan, pendant que l'Océan demeure immobile de frayeur; je suis Pantafilando, l'invincible Pantafilando.
Durant ce discours, tous les assistants mouraient de peur. Pierrot seul regarda le géant sans palir.
--Voilà, pensa-t-il, un grand fanfaron; mais sa barbe rousse, ses moustaches retroussées en croc et sa voix de chaudron percé ne m'effrayent pas.
--A quel heureux événement devons-nous le plaisir de vous voir? dit Vantripan.
--Je viens te demander en mariage ta fille Bandoline, la Reine de Beauté.
--Je vous la donne avec beaucoup de plaisir, s'écria Vantripan. Elle ne pouvait pas trouver un époux plus digne d'elle. Elle est à vous, avec la moitié de mes états.
--J'en suis enchanté, s'écria Pantafilando, et la dot ne me pla?t pas moins que la fiancée. Entre nous, mon vieux Vantripan, tu es un peu agé pour gouverner encore un si grand empire, et tu feras bien de prendre du repos. Dans une famille bien unie, un gendre est un fils. Tout n'est-il pas commun entre un père et ses enfants? La Chine nous est donc commune. Or, quand un bien est commun à deux propriétaires, si l'un des deux est paralytique, c'est à l'autre de le remplacer dans l'administration de la propriété commune. Tu es paralytique d'esprit, impotent de corps; donc, moi qui suis sain de corps et d'esprit, je te remplace dans le gouvernement et dans l'administration du royaume. C'est un lourd fardeau; mais, avec l'aide de Dieu, j'espère y suffire.
--Mais je ne suis pas paralytique, essaya de dire Vantripan.
--Tu n'es pas paralytique! dit Pantafilando feignant d'être étonné. On m'avait donc trompé. Si tu n'es pas paralytique, prends ce sabre et défends-toi.
--Hélas! seigneur, dit tristement le pauvre Vantripan, je suis paralytique, étique et phthisique si vous le voulez. Prenez mes états, mais ne me faites pas de mal.
--Vous faire du mal, dit Pantafilando, faire du mal à un beau-père si tendrement aimé! Que le ciel m'en préserve. Vous n'avez pas d'ami plus fidèle que moi, maintenant que mes droits au tr?ne de la Chine sont reconnus. Qu'est-ce que je demande, moi? la paix, la tranquillité, le maintien de l'ordre et le bonheur des honnêtes gens.
Le prince Horribilis, plus tremblant encore que son père, avait écouté ce dialogue sans mot dire; mais, quand il vit l'audace et le succès de Pantafilando, la colère lui donna du courage, et il s'avan?a au milieu de la salle.
--Tu oublies, dit-il au géant, que la loi salique règne en Chine, et que la couronne ne peut pas tomber aux mains de ma soeur qui n'est qu'une femme.
--Et moi, suis-je une femme? cria Pantafilando d'une voix de tonnerre. Viens, si tu l'oses, ver de terre, me disputer cette couronne, et je te coupe en deux d'un seul revers.
A ces mots, il tira son cimeterre qui avait quarante pieds de haut, et que vingt hommes robustes n'auraient pas pu soulever. Horribilis frémit et courut se
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