un parfum exquis dont étaient douloureusement excitées les papilles nerveuses du malheureux page.
Les marmitons riaient en passant près de lui, et se le montraient l'un à l'autre avec des gestes moqueurs.
--Voilà un cavalier dont la digestion sera facile, dit l'un d'eux.
--Habit de velours, ventre de son, dit un autre.
Pierrot, mouillé de pluie, morfondu, ne pouvant souffler dans les doigts de sa main gauche qui tenait la bride du cheval, ni dans les doigts de sa main droite qui tenait le sabre, affamé de plus, donnait de bon coeur au diable le roi, la reine, la cour, les courtisans et la maudite envie qu'il avait eue de quitter son père et sa mère, et d'entrer au service militaire.
Enfin la fée Aurore eut compassion de ses souffrances.
--Pierrot, dit-elle, cherche dans la sacoche de ton cheval, et mange.
Or dans la sacoche il n'y avait qu'un morceau de pain sec et fort dur, que le pauvre affamé dévora en quelques minutes. Ainsi se réalisa son rêve de d?ner à cheval.
Comme il finissait, trois heures sonnèrent. Vantripan avait d?né, lui aussi, mais beaucoup mieux, et plus à l'aise.
--Ventre de biche! dit-il en paraissant sur le balcon du premier étage du palais, j'ai solidement d?né.
Et il défit son ceinturon pour respirer plus à l'aise.
--Quel est ce page qui monte la garde? ajouta-t-il en abaissant son regard royal sur le pauvre Pierrot.
--Sire, dit un officier, c'est ce jeune homme qui s'est offert si singulièrement au service de Votre Majesté.
--Pardieu! dit le roi, quand j'ai bien mangé et bien bu, je veux que tous mes sujets soient heureux. Approche ici, page; et toi, dit-il au ministre de la guerre qui avait d?né avec lui, tire ton sabre, et découpe-moi ce chapon r?ti.
Pierrot s'approcha, et Vantripan lui lan?a le chapon. Pierrot le re?ut si adroitement qu'il fit l'admiration générale.
Les gens qui ont bien d?né ne sont pas, comme on sait, difficiles sur le choix de leurs plaisanteries, et celles des rois, quelle qu'en soit la tournure, sont toujours excellentes.
Après le chapon vint une bouteille de vin, puis un petit pain, puis des gateaux. Finalement Pierrot d?na mieux qu'il ne l'avait espéré; mais il voyait rire toute la cour, et ce rire ne lui faisait pas plaisir.
--Quand je d?ne avec mes parents, pensait-il, le d?ner n'est pas friand, mais je ne mange les restes de personne, et personne ne se moque de moi.
Cette pensée indigna Pierrot. Quand il eut fini, et cela dura quelques minutes à peine, tant il montra d'activité, Vantripan le fit monter près de lui.
--Il est aux arrêts, dit le gouverneur des pages.
--Est-ce ainsi qu'on m'obéit? dit le roi d'une voix tonnante. Va toi-même prendre sa place, et garde les arrêts pendant six mois.
Le gouverneur descendit la tête basse et prit la place de Pierrot au milieu des rires de toute la cour. Chacun trouva la justice de Vantripan admirable.
Le roi, content de lui, s'assit dans un bon fauteuil et attendit l'arrivée de Pierrot. A ses c?tés, dans un autre fauteuil, près du feu, était assise la reine, dont nous n'avons pas encore parlé, et qui était une femme assez grande, fort blonde, fort grosse, de qui ses femmes de chambre disaient:
--Il est impossible de savoir si elle est plus méchante que bête ou plus bête que méchante.
Derrière elle se tenait debout, tant?t sur un pied, tant?t sur l'autre, la princesse Bandoline, sa fille, surnommée par les courtisans Reine de Beauté; elle était fort belle en effet, mais encore plus orgueilleuse, et regardait la race des Vantripan comme la plus illustre de toutes les races royales, et elle-même, comme la plus illustre personne de cette race. De l'autre c?té de la cheminée se chauffait, assis, l'héritier présomptif de la couronne, le prince Horribilis, laid et méchant comme un singe; il faisait l'orgueil et la joie de sa mère, qui ne voyait en lui qu'un esprit gracieux et pénétrant, et il effrayait d'avance ceux qui craignaient de devenir ses sujets. Rangés en demi-cercle, les courtisans se tenaient debout autour de la famille royale, et semblaient attendre en bataille l'entrée de Pierrot.
Celui-ci se présenta simplement et sans embarras. Il n'avait pas vu la cour, mais l'éducation que lui avait donnée la fée Aurore le mettait dès l'abord de plain-pied avec tous ceux qu'il voyait. Arrivé à quelques pas du roi, il s'arrêta modestement.
--Approche, dr?le, lui dit gaiement le roi. D'où sors-tu? Je ne t'ai jamais vu.
--Sire, dit Pierrot, le soleil ne regarde pas les hommes, mais tous les hommes regardent le soleil.
Cette réponse fit le meilleur effet. Vantripan, flatté de se voir comparé au soleil, croisa ses mains sur son ventre avec satisfaction. Quant à Pierrot, s'il répondait par une flatterie, c'est qu'il ne se souciait pas d'une réponse plus directe. Au milieu de tant de grands seigneurs, il sentait qu'il n'aurait pas beau jeu à dire: Je suis
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