semble confirmer leur réalité, ainsi que celle de quelque
séjour dans un païs chaud, tel que nos Isles de l'Amérique, c'est que les
cannes de sucre & la cassave ou le manioc, que l'on sçait être des
productions des climats les plus chauds, ne lui sont pas des objets
inconnus; qu'elle se rappelle d'en avoir mangé, & qu'elle les saisit
avidement lorsqu'on les lui présenta la première fois en France[7].
J'insiste sur ces circonstances, parce qu'elles rendent plus compliquées
les avantures qui ont pû conduire Mlle le Blanc des terres Arctiques,
dont il paroît qu'elle est originaire, dans les Isles Antilles, & de là en
Europe sur la frontière de France.
[7] Voyez la Lettre du Mercure de Decembre 1731. Nº. 2.
Elle & sa compagne attrapoient elles-mêmes le poisson, soit dans la
mer, soit dans les lacs ou rivières; car Mlle le Blanc n'a pû m'en faire la
distinction, ni m'en dire autre chose, si ce n'est que quand elles
appercevoient dans l'eau quelques poissons, ayant la vûe très-perçante
en cet élément, elles s'y jettoient, & remontoient sur l'eau avec le
poisson pour l'éventrer, le laver & le manger tout de suite, &
retournoient en chercher d'autre. C'étoit donc au bord d'une rivière, ou,
si c'est en mer, ce ne pouvoit être que lorsque le vaisseau étoit à l'ancre
dans un port, ou dans une rade, qu'elles pêchoient de la sorte; & une de
ses avantures me le confirme; car elle me dit, qu'un jour elle se jetta
dans la mer, non pour pêcher, comme il paroît, puisqu'elle ne vouloit
pas revenir, mais pour s'enfuir à cause de quelques mauvais traitemens;
& qu'après avoir nâgé bien longtemps, elle gagna enfin un rocher
escarpé, où elle grimpa, dit-elle, comme un chat; on l'y suivit en
chaloupe ou en canot, & on eut bien de la peine à la reprendre, après
l'avoir trouvé cachée dans des buissons. Toutes ces circonstances
désignent que le Vaisseau étoit près de terre, si toutefois cette avanture
n'est pas cette échappée dont nous avons parlé plus haut, & dont M. de
L.. fut témoin à Songi.
Il paroît qu'à cause de cette fuite ou d'autres pareilles, on renferma les
petites Sauvages au fond de calle du Vaisseau; mais cette précaution
pensa leur devenir funeste, & à tout l'équipage. Se sentant si près de
l'eau, leur élément favori, elles s'avisèrent de gratter avec leurs ongles
pour faire un trou au Navire, & pouvoir s'enfuïr par-là dans l'eau; on
s'apperçut assez-tôt de ce bel ouvrage pour y remédier, & éviter un
naufrage certain. Cette tentative fit qu'on enchaîna les deux petites
Sauvages, de manière qu'elles ne pussent recommencer leur
manoeuvre.
De-là on peut juger que la garde de ces enfans demandoit bien des soins,
qu'augmentoient sans doute leur aversion d'être touchées. Selon ce que
dit Mlle le Blanc, leur approche n'étoit pas aisée à ceux qui les
gouvernoient; car soit qu'elles tinssent d'origine cette horreur qu'elles
avoient d'être touchées[8], ou du souvenir de leur enlévement ou de la
crainte de mauvais traitemens, elles entroient en fureur lorsqu'elles
voyoient quelqu'un approcher d'elles, & il falloit se précautionner
contre leurs armes & leurs ongles, ou à leur défaut, contre les coups de
poings assenés avec une force de bras bien supérieure à celle des enfans
de leur âge.
[8] Voyez Relation de la Hontan sur les Esquimaux; ci-après Nº. 5.
Lorsqu'elles arrivèrent en Champagne, elles avoient pour armes, au
rapport de Mlle le Blanc, un bâton court d'une grosseur proportionnée à
la force de leurs mains au bout duquel étoit une boule de bois très-dur;
le tout en forme de masse d'armes, & une espéce de serpette crochue de
Jardinier, ainsi qu'elle a pu me le figurer, mais à deux lames plus larges,
se repliant chacune de leur côté sur un manche de bois: celle-ci leur
servoit particulièrement à dépecer & éventrer les animaux qu'elles
prenoient, ou à se défendre de près. Elles portoient ces armes, dit-elle,
dans une espèce de sac[9], ou pôche attachée à une large ceinture de
peau, qui leur venoit jusques près les genoux. Sur ce que je lui
demandai si cet habillement ne l'empêchoit pas de monter sur les arbres
dont elle m'avoit parlé, elle me dit que non, parce qu'en pareil cas elles
tenoient le derrière de cet habit avec leurs dents. Comme je m'informai
plus curieusement de cet habit & de ses autres ornemens pour les mieux
reconnoitre dans les desseins que j'ai qui représentent des Esquimaux,
elle me dit qu'on lui avoit ôté chez M. le Vicomte d'Epinoy ses
premiers habits, ses armes, son collier & pendans; qu'il y avoit
quelques caractères inconnus imprimés sur ces armes, qui auroient pû
faire mieux reconnoître sa Nation; mais que tout cela avoit été gardé
comme une curiosité chez le Vicomte d'Epinoy, où elle a continué de
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