que tu ne sortiras pas! rugit Richefeu.
--Je te dis que je sortirai!
--Je te dis que non, moi!
--Je te dis... Au revoir, Nestor! A tout à l'heure, ma vieille!
* * * * *
Pour rien au monde, Nestor Richefeu n'e?t omis de se trouver à la pharmacie le lendemain, à l'heure de la messe. Calculant que Mlle Desormeaux profiterait très probablement de sa sortie matutinale pour apporter, comme la veille, une nouvelle ordonnance du docteur, il s'était embusqué derrière les bocaux de la montre, et il épiait sa venue, son passage tout au moins. Mais Théodule Lardenois, lui aussi, était fidèle au poste et guettait sa proie. Lorsqu'il la vit entrer, il se précipita...
--Monsieur Lardenois, faites-moi donc le plaisir d'aller au laboratoire surveiller votre décoction de salsepareille. Voilà trois quarts d'heure qu'elle est sur le réchaud.
--Monsieur, je n'ai pas d'ordres à recevoir de vous!
--Je vous demande mille pardons, monsieur, vous avez des ordres à recevoir de moi. M. Pichancourt vous l'a déjà dit; il vous le répétera, s'il le faut. Et puis, pas de discussion devant les clients, n'est-ce pas, je vous prie: filez au laboratoire, allons! acheva Richefeu.
Comme Nestor Richefeu l'avait devancé auprès de Mlle Desormeaux et s'était emparé déjà du carré de papier--l'ordonnance--qu'elle tenait à la main, l'infortuné Lardenois n'avait plus qu'à se soumettre à cette humiliante injonction,--à céder la place à son rival, et c'est ce qu'il fit rageusement, tout furibond et fulminant.
Mais, aussit?t la jeune fille partie, il se rua du laboratoire dans la pharmacie, apostropha Richefeu, l'accabla d'insultes, donna libre cours à tout son dépit et son exaspération.
Richefeu ne manqua pas de se rebiffer, comme bien on pense. Les gros mots, ainsi que des volants de raquettes, rebondirent de part et d'autre; de part et d'autre, les menaces retentirent, les provocations, criées à tue-tête, firent trembler tous les bocaux de l'officine et se répercutèrent jusqu'à l'extrémité de la place de la Mairie.
?Je t'apprendrai, moi!--Ah! je le montrerai, moi!...--Oui, tu sauras!...--Voyez donc le joli merle!--Regardez donc ce grand serin!...--Ne m'échauffe pas les oreilles plus longtemps, ou bien!...--N'achève pas, sinon!...--Je ne réponds plus de moi, Lardenois, je t'en avertis!...--J'en ai assez, Richefeu, je te préviens!...?
Bref, ils faillirent en venir aux mains, et, sans l'intervention de leur collègue Cabrillat, ils eussent très certainement passé des paroles aux actes et transformé la pharmacie en champ d'honneur.
Cabrillat leur fit comprendre tout le danger et tout le ridicule de leur conduite. Mme Pichancourt, dont l'appartement était situé au premier étage, au-dessus même du magasin, pouvait les entendre. Alexandrine, la cuisinière, attirée par le bruit, venait de se glisser dans le laboratoire, pour écouter tout à son aise.
--Oui, messieurs, elle était là il y a un instant. Que le patron ait vent de l'affaire, et... vous devinez ce qui en résultera pour vous deux? Et tenez, tous ces gamins rassemblés devant la porte... C'est à vous qu'ils en ont, c'est pour assister au spectacle... Quel scandale!
La querelle s'apaisa donc ce jour-la, mais pour reprendre de plus belle le lendemain et se continuer de plus belle encore les jours suivants. En vain Richefeu invoquait-il ses pouvoirs et s'effor?ait-il d'imposer silence à son rival: celui-ci haussait les épaules, l'envoyait promener, lui et son autorité, le narguait, le défiait, lui montrait le poing.
--Approche donc!... Viens donc un peu ici, que je te rabatte le caquet!
--Monsieur Lardenois, vous ferez tant que je me verrai dans la nécessité de...
--D'aller moucharder auprès du patron, n'est-ce pas?
--De l'instruire de ce qui se passe et de le mettre en demeure de choisir entre vous et moi, monsieur Lardenois!
--Et moi, je lui raconterai, au patron, de quelle jolie manière vous justifiez la confiance qu'il a en vous, et à quoi vous employez votre temps et consacrez vos prérogatives. Quand il saura que c'est à courtiser et accaparer toutes les clientes de la maison, nous verrons la mine qu'il fera et s'il tiendra tant que ?a à ne pas se priver de votre précieux concours, monsieur Nestor Richefeu!
Le fait est que Nestor Richefeu, ne se sentant pas la conscience absolument nette, était peu disposé à porter plainte contre son subordonné. Comme, malgré tous les baumes, lotions et frictions, le rhumatisme de M. Desormeaux s'obstinait à ne pas déguerpir, Mlle Adrienne continuait ses visites à la pharmacie avec la même fréquence et la même régularité, et il ne se passait pas de jour, pas d'heure même pour ainsi dire, que Félix Cabrillat ne se trouvat contraint de rappeler ses collègues, ses ?anciens?, à l'ordre et au calme, voire d'arrêter les mains et mettre le holà entre eux.
--Battez-vous une bonne fois, finit-il par leur conseiller en sa qualité de fils de ma?tre d'armes; décidez-vous pour le fleuret, l'épée ou le pistolet; mais, de grace, plus de disputes, plus de criailleries,--la paix!
--Eh bien, c'est cela! Oui, Cabrillat a raison; battons-nous! clama Lardenois.
--Battons-nous! Oui, il le faut! Un
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