ne plus crier, Alla, Illa, Alla, dans un rendez-vous.
[7] Voyez tome XVI, page 493. B.
En arrivant à Ispahan on me demanda si j'étais pour le mouton noir ou pour le mouton blanc. Je répondis que cela m'était fort indifférent, pourvu qu'il f?t tendre. Il faut savoir que les factions du mouton blanc et du mouton noir[8] partageaient encore les Persans. On crut que je me moquais des deux partis; de sorte que je me trouvai déjà une violente affaire sur les bras aux portes de la ville: il m'en co?ta encore grand nombre de sequins pour me débarrasser des moutons.
[8] Voyez tome XVI, page 478. B.
Je poussai jusqu'à la Chine avec un interprète, qui m'assura que c'était là le pays où l'on vivait librement et gaiement. Les Tartares s'en étaient rendus ma?tres[9], après avoir tout mis à feu et à sang; et les révérends Pères jésuites d'un c?té, comme les révérends Pères dominicains de l'autre, disaient qu'ils y gagnaient des ames à Dieu, sans que personne en s?t rien. On n'a jamais vu de convertisseurs si zélés; car ils se persécutaient les uns les autres tour-à-tour: ils écrivaient à Rome des volumes de calomnies; ils se traitaient d'infidèles et de prévaricateurs pour une ame. Il y avait surtout une horrible querelle entre eux sur la manière de faire la révérence. Les jésuites voulaient que les Chinois saluassent leurs pères et leurs mères à la mode de la Chine, et les dominicains voulaient qu'on les saluat à la mode de Rome[10]. Il m'arriva d'être pris par les jésuites pour un dominicain. On me fit passer chez sa majesté tartare pour un espion du pape. Le conseil suprême chargea un premier mandarin , qui ordonna à un sergent qui commanda à quatre sbires du pays de m'arrêter et de me lier en cérémonie. Je fus conduit après cent quarante génuflexions devant sa majesté. Elle me fit demander si j'étais l'espion du pape, et s'il était vrai que ce prince d?t venir en personne le détr?ner. Je lui répondis que le pape était un prêtre de soixante-dix ans[11]; qu'il demeurait à quatre mille lieues de sa sacrée majesté tartaro-chinoise; qu'il avait environ deux mille soldats qui montaient la garde avec un parasol; qu'il ne détr?nait personne, et que sa majesté pouvait dormir en s?reté. Ce fut l'aventure la moins funeste de ma vie. On m'envoya à Macao, d'où je m'embarquai pour l'Europe.
[9] Voyez tome XVIIl, page 457. B.
[10] Sur les querelles des cérémonies chinoises, voyez, tome XX. le chapitre XXXIX du Siècle de Louis XIV. B.
[11] Innocent X, qui a régné de 1644 à 1655. B.
Mon vaisseau eut besoin d'être radoubé vers les c?tes de Golconde. Je pris ce temps pour aller voir la cour du grand Aureng-Zeb, dont on disait des merveilles dans le monde: il était alors dans Delhi. J'eus la consolation de l'envisager le jour de la pompeuse cérémonie dans laquelle il re?ut le présent céleste que lui envoyait le shérif de la Mecque. C'était le balai avec lequel on avait balayé la maison sainte, le caaba, le beth Alla. Ce balai est le symbole du balai divin qui balaie toutes les ordures de l'ame. Aureng-Zeb ne paraissait pas en avoir besoin; c'était l'homme le plus pieux de tout l'Indoustan. Il est vrai qu'il avait égorgé un de ses frères et empoisonné son père; vingt ra?as et autant d'omras étaient morts dans les supplices; mais cela n'était rien, et on ne parlait que de sa dévotion. On ne lui comparait que la sacrée majesté du sérénissime empereur de Maroc, Muley Ismael[10], qui coupait des têtes tous les vendredis après la prière.
[12] Voltaire a parlé d'Aureng-Zeb et de Muley Ismael, tome XVIII, page 420; voyez aussi la table de ce tome XVIII. B.
Je ne disais mot; les voyages m'avaient formé, et je sentais qu'il ne m'appartenait pas de décider entre ces deux augustes souverains. Un jeune Fran?ais, avec qui je logeais, manqua, je l'avoue, de respect à l'empereur des Indes et à celui de Maroc. Il s'avisa de dire très indiscrètement qu'il y avait en Europe de très pieux souverains qui gouvernaient bien leurs états et qui fréquentaient même les églises, sans pourtant tuer leurs pères et leurs frères, et sans couper les têtes de leurs sujets. Notre interprète transmit en indou le discours impie de mon jeune homme. Instruit par le passé, je fis vite seller mes chameaux: nous part?mes le Fran?ais et moi. J'ai su depuis que la nuit même les officiers du grand Aureng-Zeb étant venus pour nous prendre, ils ne trouvèrent que l'interprète. Il fut exécuté en place publique, et tous les courtisans avouèrent sans flatterie que sa mort était très juste.
Il me restait de voir l'Afrique, pour jouir de toutes les douceurs de notre continent. Je la vis en effet. Mon vaisseau fut pris par des
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