Histoire des Montagnards | Page 9

Alphonse Esquiros
avec la liberté civile et politique fondée par la Révolution Fran?aise. Nous voyons au contraire les doctrines de l'église aboutir partout à l'obéissance passive. Lisez dans Bossuet le chapitre intitulé: _Les sujets n'ont à opposer à la violence des princes que des remontrances, sans mutinerie et sans murmure, et des prières pour leur conversion._ Voila quoi était en politique le sentiment du clergé orthodoxe; les armes de la prière étaient les seules que la liberté chrétienne put forger dans son arsenal. Nous doutons qu'avec ces armes-là on e?t jamais pris la Bastille, et nous trouvons que le peuple de 89 fit sagement d'y ajouter un fer de lance.
Parmi les éléments qui préparèrent la Révolution Fran?aise, on n'a pas assez tenu compte du vieil esprit gaulois dont on retrouve la trace dans les fabliaux et dans quelques romans du moyen age, esprit frondeur, satirique, riant sous cape de la noblesse et du clergé. A c?té des écrivains orthodoxes se forma d'ailleurs, du XVe au XVIe siècle, une école de philosophes calmes, sto?ques, dégagés des luttes religieuses, relevant plut?t de la tradition pa?enne que de l'évangile, dénon?ant avec une rare hardiesse tous les abus de leur temps: ce furent Michel Montaigne, étienne de La Bo?tie, Charron, Rabelais. Dans leurs ouvrages, si différents de verve et de style, s'épanouit la véritable liberté d'examen. Après eux vint Descartes, qui commen?a par faire table rase de toutes les connaissances acquises, et dépla?ant dès le premier coup la base de la certitude, mit dans le moi le critérium de l'erreur ou de la vérité. Pascal démasqua les jésuites dans ses Lettres provinciales. Les voies étaient ouvertes: le XVIIIe siècle s'y précipita. Montesquieu, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Buffon, Condorcet, d'Alembert, quelle pléiade de génies! La théologie chrétienne s'était placée elle-même en dehors du monde et de la nature, la philosophie intervient et fournit à l'humanité ce qui lui manquait, la notion de ses droits. Est-ce à dire que la Révolution Fran?aise soit l'oeuvre d'une école de philosophes? Non. Les grands esprits du XVIIIe siècle exercèrent sans doute une vaste influence sur le mouvement des idées; sans eux, le triomphe des libertés publiques e?t été ajourné indéfiniment. Mais les penseurs excitent et dirigent les forces vives de leur époque, ils ne les créent jamais. La source de toutes les forces et de toutes les initiatives était dans le peuple.
[Illustration: Louis XVI.]
Résumons-nous: La Révolution Fran?aise n'émane point du sentiment religieux; elle est fille du droit et de la justice.
Que répondre d'un autre c?té à ceux qui lui reprochent de n'avoir point fait surgir de l'autel de la patrie un Dieu nouveau? Elle n'était point faite pour cela: essentiellement pratique et réaliste, elle s'est attachée aux faits, à la loi, à la réforme des institutions. Son oeuvre fut de déplacer l'axe des sociétés modernes en substituant au règne de la foi l'autorité de la raison.

II
La Révolution en germe dans la cabale.--La franc-ma?onnerie.--Les mystiques.--Les inventeurs.
On n'a pas assez tenu compte d'une autre source d'opposition à l'ancien régime théocratique et monarchique: cette source, c'est la science.
Il est bien vrai que la science n'existait guère au moyen age et même à l'époque de la renaissance des lettres et des arts. On ne découvre, à cette époque, que des systèmes incohérents, vagues, entachés de merveilleux. N'oublions pas toutefois que de l'alchimie s'est dégagée la chimie et que l'astrologie a été l'embryon de l'astronomie.
L'église n'avait point en elle-même le principe de la science. L'homme, d'après elle, a été déchu pour avoir voulu savoir; il ne se relève que par l'ignorance volontaire, c'est-à-dire par la soumission de l'esprit à des dogmes révélés et à l'autorité visible des conciles. Une telle doctrine devait logiquement proscrire la libre pensée et frapper d'une réprobation terrible la recherche des lois de la nature. Les oeuvres d'Aristote furent br?lées par la main du bourreau. Condamnée, poursuivie par la justice ecclésiastique et séculière, la science se cacha, rentra sous terre. Enveloppée de formes obscures, bizarres, impénétrables, elle eut ses initiations, ses mystères. Elle se fit société secrète et prit le nom de cabale.
La cabale était une contre-église.
Pour peu qu'on fouille dans les ouvrages des cabalistes (astrologues, alchimistes, magiciens), on découvre les opinions les plus étranges sur l'éternité de la matière, la transmutation des minéraux, l'engendrement des plantes et des animaux par une série de transformations naturelles, la cha?ne magnétique des êtres, le tout brouillé dans des rêveries et des mythes dont le secret n'était accessible qu'aux initiés. Pourquoi ces voiles? C'est qu'alors la libre pensée ne se sentait point en s?reté sous les formes vulgaires du langage. Le livre écrit à style découvert courait grand risque d'être condamné aux flammes s'il contenait des opinions équivoques [Note: Témoin celui de Jean Scott qu'Honorius fit br?ler]. C'est pour éviter cette menace perpétuelle de destruction que les cabalistes couvrirent opiniatrement leurs idées d'une obscurité prudente. Ces
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