Cette secte propagea avec beaucoup
de zèle l'opinion du matérialisme, qui prévalut parmi les grands et
parmi les beaux esprits; on lui doit en partie cette espèce de philosophie
pratique qui, réduisant l'égoïsme en système, regarde la société
humaine comme une guerre de ruse, le succès comme la règle du juste
et de l'injuste, la probité comme une affaire de goût ou de bienséance,
le monde comme le patrimoine des fripons adroits....
«Parmi ceux qui au temps dont je parle se signalèrent dans la carrière
des lettres et de la philosophie, un homme par l'élévation de son âme et
la grandeur de son caractère, se montra digne du ministère de
précepteur du genre humain: il attaqua la tyrannie avec franchise; il
parla avec enthousiasme de la Divinité; son éloquence mâle et probe
peignit en traits de feu les charmes de la vertu; elle défendit ces dogmes
consolateurs que la raison donne pour appui au coeur humain. La
pureté de sa doctrine, puisée dans la nature et dans la haine profonde du
vice, autant que son mépris invincible pour les sophistes intrigans[1]
qui usurpaient le nom de philosophes, lui attira la haine et la
persécution de ses rivaux et de ses faux amis. Ah! s'il avait été témoin
de cette révolution dont il fut le précurseur, qui peut douter que son
âme généreuse eût embrassé avec transport la cause de la justice et de
l'égalité!»
Robespierre s'attache ensuite à écarter cette idée que le gouvernement,
en proclamant le dogme de l'Être suprême, travaille pour les prêtres. Il
s'exprime ainsi qu'il suit: «Qu'y a-t-il de commun entre les prêtres et
Dieu? Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la
médecine. Combien le Dieu de la nature est différent du Dieu des
prêtres! Je ne reconnais rien de si ressemblant à l'athéisme que les
religions qu'ils ont faites. A force de défigurer l'Être suprême, ils l'ont
anéanti autant qu'il était en eux: ils en ont fait tantôt un globe de feu,
tantôt un boeuf, tantôt un arbre, tantôt un homme, tantôt un roi. Les
prêtres ont créé un Dieu à leur image; ils l'ont fait jaloux, capricieux,
avide, cruel, implacable; ils l'ont traité comme jadis les maires du palais
traitèrent les descendans de Clovis pour régner en son nom et se mettre
à sa place; ils l'ont relégué dans le ciel comme dans un palais, et ne l'ont
appelé sur la terre que pour demander, à leur profit, des dîmes, des
richesses, des honneurs, des plaisirs et de la puissance. Le véritable
temple de l'Être suprême c'est l'univers; son culte, la vertu; ses fêtes, la
joie d'un grand peuple rassemblé sous ses yeux pour resserrer les
noeuds de la fraternité universelle, et pour lui présenter l'hommage des
coeurs sensibles et purs.»
Robespierre dit ensuite qu'il faut des fêtes à un peuple. «L'homme,
dit-il, est le plus grand objet qui soit dans la nature; et le plus
magnifique de tous les spectacles, c'est celui d'un grand peuple
assemblé.» En conséquence il propose des plans de réunion pour tous
les jours de décadis. Son rapport s'achève au milieu des plus vifs
applaudissemens. Il présente enfin le décret suivant, qui est adopté par
acclamation:
«Art. 1er. Le peuple français reconnaît l'existence de l'Être suprême et
l'immortalité de l'âme.
«Art. 2. Il reconnaît que le culte le plus digne de l'Être suprême est la
pratique des devoirs de l'homme.»
D'autres articles portent qu'il sera institué des fêtes pour rappeler
l'homme à la pensée de la Divinité et à la dignité de son être. Elles
emprunteront leurs noms des événemens de la révolution, ou des vertus
les plus utiles à l'homme. Outre les fêtes du 14 juillet, du 10 août, du 21
janvier et du 31 mai, la république célébrera tous les jours de décadis
les fêtes suivantes:--à l'Être suprême,--au genre humain,--au peuple
français,--aux bienfaiteurs de l'humanité,--aux martyrs de la liberté,--à
la liberté et à l'égalité,--à la république,--à la liberté du monde,--à
l'amour de la patrie,--à la haine des tyrans et des traîtres,--à la vérité,--à
la justice,--à la pudeur,--à la gloire,--à l'amitié,--à la frugalité,--au
courage,--à la bonne foi,--à l'héroïsme,--au désintéressement,--au
stoïcisme,--à l'amour,--à la foi conjugale,--à l'amour paternel,--à la
tendresse maternelle,--à la piété filiale,--à l'enfance,--à la jeunesse,--à
l'âge viril,--à la vieillesse,--au malheur,--à l'agriculture,--à l'industrie,--à
nos aïeux,--à la postérité,--au bonheur.
Une fête solennelle est ordonnée pour le 20 prairial, et le plan en est
confié à David. Il faut ajouter que, dans ce décret, la liberté des cultes
est proclamée de nouveau.
A peine ce rapport est-il achevé, qu'il est livré à l'impression. Dans la
même journée la commune, les jacobins, en demandent la lecture, le
couvrent d'applaudissemens, et délibèrent d'aller en corps témoigner à
la convention leurs remerciemens pour le sublime décret qu'elle vient
de rendre. On avait observé que les jacobins n'avaient pas pris la
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