Histoire de la Révolution française, IX. | Page 9

Adolphe Thiers
une prochaine entrevue, dans laquelle ils devaient exhiber les pouvoirs qu'ils tenaient de Louis XVIII. C'était le moment choisi pour les arrêter. Les entrevues avaient lieu chez le chef d'escadron Malo, dans l'appartement qu'il occupait à l'école-Militaire. Des gendarmes et des témoins furent cachés, de manière à tout entendre, et à pouvoir se montrer à un signal donné. Le 11 pluvi?se (30 janvier), en effet, ces misérables dupes se rendirent chez Malo avec les pouvoirs de Louis XVIII, et développèrent de nouveau leurs projets. Quand on les eut assez écoutés, on feignit de les laisser partir, mais les agens apostés les saisirent, et les conduisirent chez le ministre de la police. Sur-le-champ on se rendit à leurs domiciles, et on s'empara en leur présence de tous leurs papiers. On y trouva des lettres qui prouvaient suffisamment la conspiration, et qui en révélaient en partie les détails. On y vit, par exemple, que ces messieurs composaient de leur chef un gouvernement tout entier. Ils voulaient dans le premier moment, et en attendant le retour du roi de Blankembourg, laisser exister une partie des autorités actuelles. Ils voulaient nommément conserver Benezech à l'intérieur, Cochon à la police; et si ce dernier, comme régicide, effarouchait les royalistes, ils projetaient de mettre à sa place M. Siméon ou M. Portalis. Ils voulaient encore placer aux finances M. Barbé-Marbois, _qui a_, disaient-ils, _des talens, de l'instruction_, et qui _passe pour honnête_. Ils n'avaient point consulté certainement ni Benezech, ni Cochon, ni MM. Portalis, Siméon et Barbé-Marbois, auxquels ils étaient totalement inconnus; mais ils avaient disposé d'eux, comme d'usage, à leur insu, et sur leurs opinions présumées.
La découverte de ce complot produisit une vive sensation, et prouva que la république devait toujours être en garde contre ses anciens ennemis. Il causa un véritable étonnement dans toute l'opposition, qui aboutissait au royalisme sans s'en douter, et qui n'était nullement dans le secret. Cet étonnement prouvait combien ces misérables se vantaient, en annon?ant à Blankembourg qu'ils disposaient d'un grand nombre de membres des deux conseils. Le directoire voulut sur-le-champ les livrer à une commission militaire. Ils déclinèrent cette compétence, en soutenant qu'ils n'avaient point été surpris les armes à la main, ni faisant une tentative de vive force. Plusieurs députés, qui s'unissaient de sentiment à leur cause, les appuyèrent dans les conseils; mais le directoire n'en persista pas moins à les traduire devant une commission militaire, comme ayant tenté d'embaucher des militaires.
Leur système de défense fut assez adroit. Ils avouèrent leur qualité d'agens de Louis XVIII, mais ils soutinrent qu'ils n'avaient d'autre mission que celle de préparer l'opinion, et d'attendre d'elle seule, et non de la force, le retour aux idées monarchiques. Ils furent condamnés à mort, mais leur peine fut commuée en une détention, pour prix des révélations de Duverne de Presle[3]. Celui-ci fit au directoire une longue déclaration, qui fut insérée au registre secret, et dans laquelle il dévoila toutes les menées des royalistes. Le directoire, instruit de ces détails, se garda de les publier, pour ne point apprendre aux conspirateurs qu'il connaissait leur plan tout entier. Duverne de Presle ne dit rien sur Pichegru, dont les intrigues, aboutissant directement au prince de Condé, étaient restées inconnues aux agens de Paris; mais il déclara vaguement, d'après des ou?-dire, que l'on avait essayé de pratiquer des intelligences dans l'une des principales armées.
[Note 3: 19 germinal (8 avril).]
Cette arrestation de leurs principaux agens aurait pu déjouer les intrigues des royalistes, s'ils avaient eu un plan bien lié; mais chacun agissant de son c?té à sa manière, l'arrestation de Brottier, Laville-Heurnois et Duverne de Presle n'empêcha point MM. Puisaye et de Frotté d'intriguer en Normandie et en Bretagne, M. de Précy à Lyon, et le prince de Condé dans l'armée du Rhin.
On jugea peu de temps après Baboeuf et ses complices; ils furent tous acquittés, excepté Baboeuf et Darthé qui subirent la peine de mort[4].
[Note 4: 6 prairial (25 mai).]
L'affaire importante était celle des élections. Par opposition au directoire ou par royalisme, une foule de gens s'agitaient pour les influencer. Dans le Jura, on travaillait à faire nommer Pichegru; à Lyon, M. Imbert-Colomès, l'un des agens de Louis XVIII dans le Midi. A Versailles, on faisait élire un M. de Vauvilliers, gravement compromis dans le complot découvert. Partout enfin on préparait des choix hostiles au directoire. A Paris, les électeurs de la Seine s'étaient réunis pour concerter leurs nominations. Ils se proposaient d'adresser les demandes suivantes aux candidats: _As-tu acquis des biens nationaux? As-tu été journaliste? As-tu écrit, agi et fait quelque chose dans la révolution?_ On ne devait nommer aucun de ceux qui répondraient affirmativement sur ces questions. De pareils préparatifs annon?aient combien était violente la réaction contre tous les hommes qui avaient pris part à la révolution. Cent journaux déclamaient avec véhémence, et produisaient un véritable étourdissement
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