Histoire de la Révolution française, IX. | Page 6

Adolphe Thiers
étant mort, ses associés avaient pris sa place et lui avaient succédé dans la confiance du prétendant. C'étaient, comme on le sait déjà, l'abbé Brottier, ancien précepteur, Laville-Heurnois, ci-devant ma?tre des requêtes, un certain chevalier Despomelles, et un officier de marine nommé Duverne de Presle. L'ancien système de ces agens, placés à Paris, était de tout faire par les intrigues de la capitale, tandis que les Vendéens prétendaient tout faire par l'insurrection armée, et le prince de Condé tout par le moyen de Pichegru. La Vendée étant soumise, Pichegru étant condamné à la retraite, et une réaction mena?ante éclatant contre la révolution, les agens de Paris furent d'autant plus persuadés que l'on devait tout attendre d'un mouvement spontané de l'intérieur. S'emparer d'abord des élections, puis s'emparer par les élections des conseils, par les conseils du directoire et des places, leur semblait un moyen assuré de rétablir la royauté, avec les moyens même que leur fournissait la république. Mais pour cela il fallait mettre un terme à cette divergence d'idées qui avait toujours régné dans les projets de contre-révolution. Puisaye, resté secrètement en Bretagne, y rêvait, comme autrefois, l'insurrection de cette province. M. de Frotté, en Normandie, tachait d'y préparer une Vendée, mais ni l'un ni l'autre ne voulaient s'entendre avec les agens de Paris. Le prince de Condé, dupé sur le Rhin dans son intrigue avec Pichegru, voulait toujours la conduire à part, sans y mêler ni les Autrichiens, ni le prétendant, et c'est à regret qu'il les avait mis dans le secret. Pour mettre de l'ensemble dans ces projets incohérens, et surtout pour avoir de l'argent, les agens de Paris firent voyager l'un d'entre eux dans les provinces de l'Ouest, en Angleterre, en Ecosse, en Allemagne et en Suisse. Ce fut Duverne de Presle qui fut choisi. Ne pouvant pas réussir à priver Puisaye de son commandement, on essaya, par l'influence du comte d'Artois, de le rattacher au système de l'agence de Paris, et de l'obliger à s'entendre avec elle. On obtint des Anglais la chose la plus importante, quelque secours d'argent. On se fit donner par le prétendant des pouvoirs qui faisaient ressortir toutes les intrigues de l'agence de Paris. On vit le prince de Condé, qu'on ne rendit ni intelligent, ni maniable. On vit M. de Précy, qui était toujours le promoteur secret des troubles de Lyon et du Midi; enfin on concerta un plan général qui n'avait d'ensemble et d'unité que sur le papier, et qui n'empêchait pas que chacun ag?t à sa fa?on, d'après ses intérêts et ses prétentions.
Il fut convenu que la France entière se partagerait en deux agences, l'une comprenant l'Est et le Midi, l'autre le Nord et l'Ouest. M. de Précy était à la tête de la première, les agens de Paris dirigeaient la seconde. Ces deux agences devaient se concerter dans toutes leurs opérations, et correspondre directement avec le prétendant qui leur donnait ses ordres. On imagina des associations secrètes sur le plan de celles de Baboeuf. Elles étaient isolées entre elles, et ignoraient le nom des chefs, ce qui empêchait qu'on ne sais?t toute la conspiration en saisissant l'une des parties. Ces associations devaient être adaptées à l'état de la France. Comme on avait vu que la plus grande partie de la population, sans désirer le retour des Bourbons, voulait l'ordre, le repos, et imputait au directoire la continuation du système révolutionnaire, on forma une ma?onnerie dite des _Philantropes_, qui s'engageaient à user de leurs droits électoraux et à les exercer en faveur d'hommes opposés au directoire. Les philantropes ignoraient le but secret de ces menées, et on ne devait leur avouer qu'une seule intention, celle de renforcer l'opposition. Une autre association, plus secrète, plus concentrée, moins nombreuse, et intitulée _des fidèles_, devait se composer de ces hommes plus énergiques et plus dévoués, auxquels on pouvait révéler le secret de la faction. Les fidèles devaient être secrètement armés, et prêts à tous les coups de main. Ils devaient s'enr?ler dans la garde nationale, qui n'était pas encore organisée, et, à la faveur de ce costume, exécuter plus s?rement les ordres qu'on leur donnerait. Leur mission obligée, indépendamment de tout plan d'insurrection, était de veiller aux élections; et si on en venait aux mains, comme cela était arrivé en vendémiaire, de voler au secours du parti de l'opposition. Les fidèles contribuaient en outre à cacher les émigrés et les prêtres, à faire de faux passeports, à persécuter les révolutionnaires et les acquéreurs de biens nationaux. Ces associations étaient sous la direction de chefs militaires, qui correspondaient avec les deux agences principales, et recevaient leurs ordres. Tel était le nouveau plan de la faction, plan chimérique que l'histoire dédaignerait de rapporter, s'il ne faisait conna?tre les rêves dont les partis se repaissent dans leurs défaites. Malgré ce prétendu ensemble, l'association du Midi
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