estime, et se souvenaient toujours qu'il avait été le général de vendémiaire, et les conspirateurs du camp de Grenelle avaient cru pouvoir compter sur lui. Aussi les patriotes le comblaient d'éloges, et les royalistes l'accablaient d'invectives. Quelques agens secrets du royalisme, rapprochés de lui par un commun esprit d'intrigue, pouvaient bien, comptant sur sa dépravation, concevoir quelques espérances; mais c'était une opinion à eux particulière. La masse du parti l'abhorrait et le poursuivait avec fureur.
[Note 2: An IV, 4 octobre 1795.]
Carnot, ex-montagnard, ancien membre du comité de salut public, et exposé après le 9 thermidor à devenir victime de la réaction royaliste, devait être certainement un républicain prononcé, et l'était effectivement. Au premier moment de son entrée au directoire, il avait fortement appuyé tous les choix faits dans le parti montagnard; mais peu à peu, à mesure que les terreurs de vendémiaire s'étaient calmées, ses dispositions avaient changé. Carnot, même au comité de salut public, n'avait jamais aimé la tourbe des révolutionnaires turbulens, et avait fortement contribué à détruire les hébertistes. En voyant Barras, qui tenait à rester _roi de la canaille_, s'entourer des restes du parti jacobin, il était devenu hostile pour ce parti; il avait déployé beaucoup d'énergie dans l'affaire du camp de Grenelle, et d'autant plus que Barras était un peu compromis dans cette échauffourée. Ce n'est pas tout: Carnot était agité par des souvenirs. Le reproche qu'on lui avait fait d'avoir signé les actes les plus sanguinaires du comité de salut public, le tourmentait. Ce n'était pas assez à ses yeux des explications fort naturelles qu'il avait données; il aurait voulu par tous les moyens prouver qu'il n'était pas un monstre; et il était capable de beaucoup de sacrifices pour donner cette preuve. Les partis savent tout, devinent tout; ils ne sont difficiles à l'égard des hommes que lorsqu'ils sont victorieux; mais quand ils sont vaincus, ils se recrutent de toutes les manières, et mettent particulièrement un grand soin à flatter les chefs des armées. Les royalistes avaient bient?t connu les dispositions de Carnot à l'égard de Barras et du parti patriote. Ils devinaient son besoin de se réhabiliter; ils sentaient son importance militaire, et ils avaient soin de le traiter autrement que ses collègues, et de parler de lui de la manière qu'ils savaient la plus capable de le toucher. Aussi, tandis que la cohue de leurs journaux ne tarissait pas d'injures grossières pour Barras, Larévellière et Rewbell, elle n'avait que des éloges pour l'ex-montagnard et régicide Carnot. D'ailleurs, en gagnant Carnot, ils avaient aussi Letourneur, et c'étaient deux voix acquises par une ruse vulgaire, mais puissante, comme toutes celles qui s'adressent à l'amour propre. Carnot avait la faiblesse de céder à ce genre de séduction; et, sans cesser d'être fidèle à ses convictions intérieures, il formait, avec son ami Letourneur, dans le sein du directoire, une espèce d'opposition analogue à celle que le nouveau tiers formait dans les deux conseils. Dans toutes les questions soumises à la décision du directoire, il se pronon?ait pour l'avis adopté par l'opposition des conseils. Ainsi, dans toutes les questions relatives à la paix et à la guerre, il votait pour la paix, à l'exemple de l'opposition, qui affectait de la demander sans cesse. Il avait fortement insisté pour qu'on f?t à l'empereur les plus grands sacrifices, pour qu'on signat la paix avec Naples et avec Rome, sans s'arrêter à des conditions trop rigoureuses.
De pareils dissentimens ont à peine éclaté, qu'ils font des progrès rapides. Le parti qui veut en profiter loue à outrance ceux qu'il veut gagner, et déverse le blame sur les autres. Cette tactique avait eu son succès accoutumé. Barras, Rewbell, déjà ennemis de Carnot, lui en voulaient encore davantage depuis les éloges dont il était l'objet, et lui imputaient le décha?nement auquel eux-mêmes étaient en butte. Larévellière employait de vains efforts pour calmer de tels ressentimens; la discorde n'en faisait pas moins de funestes progrès; le public, instruit de ce qui se passait, distinguait le directoire en majorité et minorité, et rangeait Larévellière, Rewbell et Barras d'une part, Carnot et Letourneur de l'autre.
On classait aussi les ministres. Comme on s'attachait beaucoup à critiquer la direction des finances, on poursuivait le ministre Ramel, administrateur excellent, que la situation pénible du trésor obligeait à des expédiens blamables en tout autre temps, mais inévitables dans les circonstances. Les imp?ts ne rentraient que difficilement, à cause du désordre effroyable de la perception. Il avait fallu réduire l'imposition foncière; et les contributions indirectes rendaient beaucoup moins qu'on ne l'avait présumé. Souvent on se trouvait sans aucuns fonds à la trésorerie; et, dans ces cas pressans, on prenait sur les fonds de l'ordinaire ce qui était destiné à l'extraordinaire, ou bien on anticipait sur les recettes, et on faisait tous les marchés bizarres et onéreux auxquels les situations de ce genre
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