Dans cet
instant un boulet emporte le cheval de Dumouriez: il est renverse et
couvert de terre. Ses soldats epouvantes sont prets a fuir a cette vue,
mais il se releve avec une extreme promptitude, remonte a cheval, et
continue a les maintenir sur le champ de bataille.
Pendant ce temps, le duc de Chartres operait la retraite de la droite et de
la moitie du centre. Conduisant ses quatre colonnes avec autant
d'intrepidite que d'intelligence, il se retire froidement en presence d'un
ennemi formidable, et traverse les trois ponts de la Gette sans avoir ete
entame. Dumouriez replie alors son aile gauche, ainsi que la colonne de
Dampierre, et rentre dans les positions de la veille, en presence d'un
ennemi saisi d'admiration pour sa belle retraite. Le 19, l'armee se
trouvait, comme le 17, entre Hackenhoven et Goidsenhoven, mais avec
une perte de quatre mille morts, avec une desertion de plus de dix mille
fuyards, qui couraient deja vers l'interieur, et avec le decouragement
d'une bataille perdue.
Dumouriez, devore de chagrins, agite de sentimens contraires, songeait
tantot a se battre a outrance contre les Autrichiens, tantot a detruire la
faction des jacobins, auxquels il attribuait la desorganisation et les
revers de son armee. Dans les acces de sa violente humeur, il parlait
tout haut contre la tyrannie de Paris, et ses propos, repetes par son
etat-major, circulaient dans toute l'armee. Neanmoins, quoique livre a
un singulier desordre d'esprit, il ne perdit pas le sang-froid necessaire
dans une retraite, et il fit les meilleures dispositions pour occuper
long-temps la Belgique par les places fortes, s'il etait oblige de
l'evacuer avec ses armees. En consequence il ordonna au general
d'Harville de jeter une forte garnison dans le chateau de Namur, et de
s'y maintenir avec une division. Il envoya le general Ruault a Anvers
pour recueillir les vingt mille hommes de l'expedition de Hollande, et
garder l'Escaut, Tandis que de bonnes garnisons occuperaient Breda et
Gertruydenberg. Son but etait de former ainsi un demi-cercle de places
fortes, passant par Namur, Mons, Tournay, Courtray, Anvers, Breda et
Gertruydenberg; de se placer au centre de ce demi-cercle, et d'y
attendre les renforts necessaires pour agir plus energiquement. Le 22, il
livra, devant Louvain, un combat de position aux Imperiaux, qui fut
aussi grave que celui de Goidsenhoven, et leur couta autant de monde.
Le soir, il eut une entrevue avec le colonel Mack, officier ennemi qui
exercait une grande influence sur les operations des coalises, par la
reputation dont il jouissait en Allemagne. Ils convinrent de ne plus
livrer de combats decisifs, de se suivre lentement et en bon ordre, pour
epargner le sang des soldats et menager les pays qui etaient le theatre
de la guerre. Cette espece d'armistice, toute favorable aux Francais, qui
se seraient debandes s'ils avaient ete attaques vivement, convenait aussi
parfaitement au timide systeme de la coalition, qui, apres avoir
recouvre la Meuse, ne voulait plus rien tenter de decisif avant la prise
de Mayence. Telle fut la premiere negociation de Dumouriez avec
l'ennemi. La politesse du colonel Mack, ses manieres engageantes,
purent disposer l'esprit si agite du general a recourir a des secours
etrangers. Il commencait a ne plus apercevoir d'avenir dans la carriere
ou il se trouvait engage: si quelques mois auparavant il prevoyait
succes, gloire, influence, en commandant les armees francaises, et si
cette esperance le rendait plus indulgent pour les violences
revolutionnaires, aujourd'hui battu, depopularise, attribuant la
desorganisation de son armee a ces memes violences, il voyait avec
horreur des desordres qu'il avait pu autrefois ne considerer qu'avec
indifference. Eleve dans les cours, ayant vu de ses yeux quelle machine
fortement organisee il fallait pour assurer la duree d'un etat, il ne
pouvait concevoir que des bourgeois souleves pussent suffire a une
operation aussi compliquee que celle du gouvernement. Dans une telle
situation, si un general, administrateur et guerrier a la fois, tient la force
dans ses mains, il est difficile que l'idee ne lui vienne pas de l'employer
pour terminer des desordres qui epouvantent sa pensee et menacent
meme sa personne. Dumouriez etait assez hardi pour concevoir une
pareille idee; et, ne voyant plus d'avenir en servant la revolution par des
victoires, il songea a s'en former un autre en ramenant cette revolution
a la constitution de 1791, et en la reconciliant a ce prix avec toute
l'Europe. Dans ce plan, il fallait un roi, et les hommes importaient assez
peu a Dumouriez pour qu'il ne s'inquietat pas beaucoup du choix. On
lui reprocha alors de vouloir placer sur le trone la maison d'Orleans. Ce
qui porta a le croire, c'est son affection pour le duc de Chartres, auquel
il avait menage a l'armee le role le plus brillant. Mais cette preuve etait
fort insignifiante, car le jeune duc avait merite tout ce qu'il avait

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