Histoire de la Révolution française, IV | Page 3

Adolphe Thiers
abandonne ce champ embarrasse de debris humains, et recompose ses colonnes a quelque distance du village. La, il s'entoure d'artillerie, et se dispose a se maintenir sur ce champ de bataille. Dans ce moment, deux colonnes de cavalerie fondent sur lui; l'une de Neerwinden, l'autre d'Overwinden. Valence previent la premiere a la tete de la cavalerie francaise, la charge impetueusement, la repousse, et, couvert de glorieuses blessures, est oblige de ceder son commandement au duc de Chartres. Le general Thouvenot recoit la seconde avec calme, la laisse s'engager au sein de notre infanterie, dont il fait ouvrir les rangs, puis il ordonne tout a coup une double decharge de mitraille et de mousqueterie, qui, faite a bout portant, accable la cavalerie imperiale et la detruit presque entierement. Dumouriez reste ainsi maitre du champ de bataille, et s'y etablit pour achever le lendemain son mouvement de conversion.
La journee avait ete sanglante; mais le plus difficile semblait execute. La gauche, etablie des le matin a Leaw et Orsmael, devait n'avoir plus rien a faire, et le feu ayant cesse a deux heures apres midi, Dumouriez croyait qu'elle avait conserve son terrain. Il se regardait comme victorieux, puisqu'il occupait tout le champ de bataille. Cependant la nuit approchait, la droite et le centre allumaient leurs feux, et aucun officier n'etait venu apprendre a Dumouriez, de la part de Miranda, ce qui se passait sur son flanc gauche. Alors il concoit des doutes, et bientot des inquietudes. Il part a cheval avec deux officiers et deux domestiques, et trouve le village de Laer abandonne par Dampierre, qui commandait sous le duc de Chartres l'une des deux colonnes du centre. Dumouriez apprend la que la gauche, entierement debandee, avait repasse la Gette, et avait fui jusqu'a Tirlemont; et que Dampierre, se voyant alors decouvert, s'etait reporte en arriere, au poste qu'il occupait le matin avant la bataille. Il part aussitot ventre a terre, accompagne de ses deux domestiques et de ses deux officiers, manque d'etre pris par les hulans autrichiens, arrive vers minuit a Tirlemont, et trouve Miranda qui s'etait replie a deux lieues du champ de bataille, et que Valence, transporte la par suite de ses blessures, engageait vainement a se reporter en avant. Miranda, entre a Orsmael des le matin, avait ete attaque au moment ou les Imperiaux reprenaient toutes leurs positions. La plus grande partie des forces de l'ennemi avait porte sur son aile, qui formee en partie des volontaires nationaux, s'etait debandee et avait fui jusqu'a Tirlemont. Miranda, entraine, n'avait eu ni le temps ni la force de rallier ses soldats, quoique Miacsinsky fut venu a son secours avec un corps de troupes fraiches; il ne songea meme pas a en faire prevenir le general en chef. Quant a Champmorin, place a Leaw avec la derniere colonne, il s'y etait maintenu jusqu'au soir, et n'avait songe a rentrer a Bingen, son point de depart, que vers la fin de la journee.
L'armee francaise se trouva ainsi detachee, partie en arriere de la Gette, partie en avant; et si l'ennemi, moins intimide par une action aussi opiniatre, eut voulu pousser ses avantages, il pouvait couper notre ligne, aneantir notre droite campee a Neerwinden, et mettre en fuite la gauche deja repliee. Dumouriez, sans s'epouvanter, se decide froidement a la retraite, et des le lendemain matin il se prepare a l'executer. Pour cela, il s'empare de l'aile de Miranda, tache de lui rendre quelque courage, et veut la reporter en avant pour arreter l'ennemi sur la gauche de la ligne, tandis que le centre et la droite, faisant leur retraite, essaieront de repasser la Gette. Mais cette portion de l'armee, abattue par sa defaite de la veille, n'avance qu'avec peine. Heureusement Dampierre, qui avait repasse la Gette le jour meme avec une colonne du centre, appuie le mouvement de Dumouriez, et se conduit avec autant d'intelligence que de courage. Dumouriez, toujours au milieu de ses bataillons, les soutient, et veut les conduire sur la hauteur de Wommersem, qu'ils avaient occupee la veille avant le commencement de la bataille. Les Autrichiens y avaient place des batteries, et faisaient de ce point un feu meurtrier. Dumouriez se met a la tete de ces soldats abattus, leur fait sentir qu'il vaut mieux tenter l'attaque que de recevoir un feu continu, qu'ils en seront quittes pour une charge, bien moins meurtriere pour eux que cette froide immobilite en presence d'une artillerie foudroyante. Deux fois il les ebranle, et deux fois, comme decourages par le souvenir de la veille, ils s'arretent; et tandis qu'ils supportent avec une constance heroique le feu Des hauteurs de Wommersem, il n'ont pas le courage beaucoup plus facile de charger a la baionnette. Dans cet instant un boulet emporte le cheval de Dumouriez: il est renverse et couvert de terre. Ses soldats epouvantes sont
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