célèbrent le jubilé de Léon Leroux, parce qu'il y a aujourd'hui vingt-cinq ans qu'il est fileur. Wildenslag m'a prié d'y être présent; je lui ai promis de venir, si c'était possible.
--Eh bien, Damhout, c'est possible: tu dois tenir ta promesse.
--Oui, mais je ne sais pas, il me semble que je préférerais rester à la maison avec les enfants.
--Non, non, Damhout, c'est demain dimanche, jour où nous sommes ensemble du matin au soir. Fais-moi ce plaisir et prends cet argent; va à la _Chèvre bleue_ et divertis-toi avec les amis. Je t'attendrai contente et de bonne humeur; reste aussi longtemps que tu le voudras. Va, je t'en prie.
Elle le pria encore pendant quelques instants et lui fit en quelque sorte violence pour l'obliger à se lever. Alors, elle l'accompagna jusqu'à la porte et lui souhaita une joyeuse soirée. Elle retourna à la table et reprit sa couture.
Quelques instants après, la porte s'ouvrit doucement, et une petite fille entra.
--Bavon, voici Godelive, dit la mère.
Le petit gar?on se leva d'un bond, courut à la petite fille, lui prit la main et la conduisit près de la table, disant avec une grande joie:
--Ah! Godelive, c'est bien, de venir encore! Je suis las d'étudier; jouons un peu. Veux-tu jouer à la boutique comme hier? C'est si amusant!
--Oh! non, Bavon, tenons une école! demanda la petite fille.
--Oui, oui, une école! reprirent les deux petites soeurs en battant des mains.
Bavon alla chercher quelques livres qu'il avait conservés des premiers mois qu'il allait à l'école; il pla?a Godelive sur l'un des bancs et ses petites soeurs sur l'autre, prit la petite canne des dimanches de son père, et commen?a à aller et venir, la tête droite et avec un sérieux comique en criant de temps en temps d'un ton courroucé:
--Silence dans la classe, ou je vous mets dans le coin. Quiconque ne conna?t pas sa le?on, devra manger le pain sec. Godelive Weldenslag, attention! Quelle lettre est celle-ci?--Bon! Et celle-ci? Et celle-là?--Vous savez votre le?on. Vous avancerez d'une classe. Tournez la page de votre livre. Qu'est-ce qui est écrit sur la deuxième ligne?
--Da, de, di, do, du, dit Godelive à haute voix.
--Oui, vous connaissez cela par coeur, je le sais bien; mais là, sur l'autre page, là?
La petite fille fit un violent effort pour épeler la syllabe qu'on lui montrait, mais elle ne put y parvenir.
--Courage, faites bien attention, dit Bavon. Ces deux voyelles O et U forment le son...
--Ou, ou! dit Godelive avec une joie triomphante.
--Très-bien, mon enfant, vous y êtes! dit le jeune instituteur avec joie. Godelive Wildenslag re?oit dix bons points.
La mère avait vu cette scène en souriant et avec plaisir.
--Chers enfants, dit-elle avec émotion, vous jouez là un jeu sérieux. Croiriez-vous que Godelive finira par apprendre à lire sans aller à l'école?
Le petit gar?on et la petite fille la regardèrent avec étonnement.
--C'est comme je vous le dis. Pourquoi cela vous étonne-t-il? Tenez, Godelive, sans le savoir, conna?t toutes ses lettres et elle commence déjà à épeler. Si Bavon voulait se donner un peu de peine, sois certaine Godelive, que tu saurais bien vite lire.
--Vous dites cela pour rire, n'est-ce pas, madame Damhout? murmura la petite fille d'un air de doute.
--Serait-il possible, chère mère? demanda Bavon, dans l'oeil duquel brillait une étincelle de résolution.
--Possible? Mais, mon enfant, c'est presque fait, tu le vois bien!
--Ah! ah! Godelive, nous jouerons toujours au jeu de l'école! Tu apprendras à lire!
--J'apprendrai à lire! reprit Godelive avec une joie contenue.
--Tu l'apprendras, s'écria Bavon. Dieu que ?a sera amusant, lorsque nous pourrons lire à deux dans le même livre.--Allons, mademoiselle, rasseyez-vous sur le banc, et faites attention... ou je vous fais apprendre par coeur deux grandes le?ons de catéchisme!
Bavon continua à jouer son r?le de ma?tre d'école avec un redoublement de zèle. Bien qu'en même temps il montrat les lettres à ses petites soeurs et les leur nommat avec une impatience simulée, il s'occupait le plus souvent de Godelive. Il lui adressait de si douces paroles d'encouragement et faisait de si grands efforts pour l'instruire, que ce na?f jeu d'enfant devenait un travail sérieux, un véritable bienfait.
Cela dura si longtemps qu'enfin les deux petites soeurs, tête contre tête, s'étaient endormies sur le banc.
Alors, la classe fut finie. La mère déshabilla les deux petites endormies et les mit dans leur lit.
Bavon et Godelive retournèrent à la table et feuilletèrent un livre plein d'images.
Pendant que madame Damhout continuait son ouvrage, les deux enfants causaient ensemble à voix basse de l'espoir que Godelive apprendrait à lire, quoiqu'elle ne p?t aller à l'école; puis encore d'autres belles choses. Un doux sourire était pour ainsi dire en permanence sur leurs lèvres; leurs yeux étincelaient d'amitié et de contentement, et quelquefois ils se serraient affectueusement la main.
Enfin on entendit au dehors une voix d'enfant crier le nom de Godelive, et la petite fille, après avoir souhaité le
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