va-t-il pas, mon enfant?
--Ah! mère, dit-il, le ma?tre m'a donné à apprendre une le?on dans laquelle il y a un mot si difficile, si difficile! J'en ai chaud, mais je n'en sors pas. Lis-le donc, toi, mère!
Il se rapprocha, lui mit le livre sous les yeux et montra le mot qui l'arrêtait.
Mais la femme, après un long effort, bégaya avec découragement:
--Ab... be... né... abné... ga... Je ne sors pas du reste, Bavon. Sont-ce là aussi des mots pour un enfant comme toi? Tu n'as qu'à le passer et à le demander demain à ton ma?tre.
L'enfant tenait le regard attaché sur le livre; ses traits se contractaient, ses yeux étaient fixes et il tendait évidemment toutes les forces de son esprit.
--Non, laisse, mon enfant, dit la femme, ne te casse pas inutilement la tête: le mot est trop difficile.
--Trop difficile? balbutia le petit. Il faut que je le lise, je le veux... Ah! mère, paix, paix! tu m'as aidé, cela ira... Abe... né... ga... ga... abnéga... ti... o... tion! Tiens, tiens, chère mère, le mot est abnégation.
Un cri d'admiration échappa à la femme; elle prit son fils dans ses bras et déposa un long baiser sur son front. Ce qui la touchait ainsi, c'était la persévérance précoce et la volonté presque virile qu'elle croyait découvrir dans son fils. Que rêvait-elle en lui donnant ce baiser? Elle ne le savait pas, et néanmoins elle remerciait Dieu du fond du coeur.
L'enfant, encouragé par la tendre approbation de sa mère, avait repris son livre; mais la femme, encore émue, lui dit:
--Cher Bavon, il faut bien t'instruire; plus tard dans la vie, tu commenceras à comprendre comme il est beau et utile de savoir lire et écrire. Celui qui ne sait pas lire n'est un homme qu'à demi, et il est condamné, f?t-il même né avec de l'esprit, à rester toujours ignorant. Tu seras mieux et plus instruit que moi, Bavon, et tu en seras plus heureux sur la terre. Ah! pourquoi mon parrain est-il mort sit?t! Sans cela, je saurais très-bien lire et écrire; mais il n'y avait personne qui p?t me protéger, il me fallait aller à la fabrique. Je me suis encore un peu instruite par moi-même; mais, lorsqu'on a travaillé toute la journée, cela ne va pas bien le soir. Oui, Bavon, si chacun savait lire, il n'y aurait pas tant de mauvaises gens; car quiconque sait lire sait qu'il est homme et se respecte soi-même. Malheureusement, il n'y a que peu d'enfants d'ouvriers qui aient l'occasion ou les moyens de s'instruire; les parents, qui sont eux-mêmes ignorants, ne comprennent pas combien il est beau et utile d'être instruit. Toi, mon enfant, si Dieu continue à accorder la santé à ton père, tu pourras apprendre beaucoup de choses. Bavon, n'oublie jamais que tu devras ce bonheur à ton père, qui travaille du matin au soir pour élever honorablement ses enfants, qui ne va pas au cabaret et qui, pour ainsi dire, se retient de manger pour que tu puisses aller à l'école. N'est-ce pas, Bavon, tu ne l'oublieras jamais? Quoi qu'il t'arrive dans la vie, tu continueras toujours à respecter et à aimer ton père?
--Toujours! toujours! et toi aussi, chère mère! dit le petit gar?on en lui caressant les joues.
à ce moment, la porte s'ouvrit et un homme entra. Ses vêtements, couverts de coton et de poussière, étaient usés et paraissaient sales dans un lieu aussi propre. L'expression de son visage trahissait une sorte de regret et il semblait être de mauvaise humeur.
Mais voilà que le mot ?Père! père!? résonna sur tous les tons à ses oreilles, et, avant qu'il e?t fait deux pas dans la chambre, on lui saisit les mains, et de douces voix d'enfants lui souhaitèrent la bienvenue avec les plus tendres paroles. Bavon courut à sa rencontre en agitant un petit morceau de papier au-dessus de sa tête:
--Cher père! cher père! cria-t-il, vingt bons points! Deux baisers pour moi et deux sous pour ma tirelire!
Et, en disant ces paroles, le jeune gar?on avait fait un bond, et s'était suspendu au cou de son père pour recevoir la récompense de son application.
Pendant ce temps, la femme était occupée à étendre la nappe sur la table et à servir le souper. Elle sourit amicalement à son mari et lui adressa également quelques joyeuses paroles.
--Asseyez-vous, asseyez-vous, Damhout, dit-elle. Vous devez avoir faim, et les pommes de terre seraient bient?t refroidies. J'ai acheté une excellente sole pour vous, à bon marché, et toute vivante. Allons, mes enfants, à table, à table!
Adrien Damhout ne fut pas insensible aux témoignages d'affection de ses enfants; les rides disparurent de son front et un tranquille sourire illumina son visage. Il donna à son fils les deux sous promis et tendit sa paye à sa femme, qui, sans la compter, laissa glisser l'argent dans sa poche.
Alors,
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