Histoire de deux enfants douvrier | Page 2

Hendrik Conscience
��coul��e et que le repos du lendemain leur souriait.
Un gaillard solidement bati, qui se tenait parmi les fileurs, se distinguait par ses propos bruyants. Des mots plaisants et de grossiers lazzis tombaient de sa bouche, au point que plus d'une fois il avait provoqu�� les ��clats de rire de ses camarades.
�� ce moment, il aper?ut un ouvrier qui sortait de la fabrique et s'approchait de l'extr��mit�� du groupe des rieurs; il se dirigea vers lui, fit signe qu'il avait �� lui parler, l'entra?na �� quelques pas de ses camarades et dit:
--Ah ?��! Adrien, ce soir, tu es des n?tres, n'est-ce pas? Comme nous rirons! comme nous nous amuserons!
--Des v?tres, Jean? Je ne sais rien, r��pondit-il.
--Comment! tu ne sais pas que L��on Leroux c��l��bre ce soir son jubil��?
--Quel jubil��?
--Il y a vingt-cinq ans qu'il est fileur!
--L��on travaille-t-il d��j�� depuis si longtemps? Impossible! cet homme n'est pas encore assez vieux.
--Pas assez vieux, Adrien? Il ��tait rattacheur de fils dans la filature de Li��vin Bauwens, dans la toute premi��re fabrique qui fut ��tablie �� Gand. C'��tait en 1800, et L��on avait alors quinze ans. Il le sait encore au bout du doigt comme s'il avait un almanach dans la t��te. Il est devenu fileur en 1807, chez M. Devos. Compte donc sur tes doigts; sept de trente-deux, reste vingt-cinq.
--En effet, on ne le dirait pas: L��on ne para?t pas avoir quarante ans.
--C'est qu'il comprend la vie et prend le temps comme il vient. S'il avait ��t�� un ronge-l'ame, il y a longtemps qu'il serait couch�� dans le cimeti��re. Une bonne pinte de bi��re, une tranche de lard et, de temps en temps un coup de geni��vre, cela rajeunit le sang, mon gar?on. Eh bien, en es-tu? Un demi-franc de mise; nous chantons, nous buvons, nous rions jusqu'�� minuit. D'ailleurs, c'est demain dimanche. En outre, il y aura quatre lapins gras �� croquer: un festin extra �� la _Ch��vre bleue_, chez notre camarade Pierre Lambin.
L'autre r��fl��chit un moment, secoua la t��te et r��pondit:
--Je n'en ai pas envie, Jean.
--Qu'est-ce que cela signifie? s'��cria son camarade stup��fait. Refuseras-tu cinquante centimes pour c��l��brer le jubil�� d'un vieil ami?
--Ce n'est pas �� cause des cinquante centimes, Jean. Je connais �� peine Jean Leroux, et, je le dis ouvertement, boire pendant la moiti�� de la nuit, cela ne me tente plus; je ne le supporte plus, j'en deviens malade.
Ces paroles, prononc��es d'un ton quelque peu craintif, firent ��clater Jean d'un fou rire; il prit les deux mains de son ami et dit:
--Damhout, Damhout, mon gar?on, j'ai piti�� de toi. Jadis tu ��tais toujours le boute-en-train, et il n'��tait jamais trop tard pour toi de retourner �� la maison; mais, depuis que tu es mari��, je l'ai observ�� d��s la premi��re ann��e, depuis que tu es mari��, tu te retires peu �� peu derri��re les jupons de ta femme; tu n'oses plus bouger, tu deviens un radoteur, un avare, un capucin. Fi! tu oublies que tu es un homme, et tu es comme un enfant sous le joug de ta femme. Tu serais bien des n?tres, je le sais, cela te ferait plaisir; mais tu dois d'abord avoir la permission de madame Damhout, et Dieu sait si tu oses seulement la lui demander!
--Wildenslag, je ne veux pas me facher, balbutia Damhout. Je sais que tu n'as pas de mauvaises intentions, bien que tu sois injuste envers moi.
--Eh bien, nie alors que tu refuses �� cause de ta femme!
--Au contraire, je le reconnais; mais si c'��tait par ��gard pour elle et par amour pour mes enfants?
--Oui, Damhout, tes enfants; tu en feras de beaux merles, de tes enfants! Habille-les seulement comme de petits rentiers; laisse-les aller �� l'��cole: aussi longtemps qu'ils sont jeunes, ils te co?teront plus que tu ne peux gagner. Ils feront les beaux messieurs et les paresseux, tandis que, toi, pauvre diable, apr��s avoir travaill�� toute la semaine comme un esclave, tu ne pourras seulement pas boire une pinte de bi��re avec tes amis. Donne-leur tes sueurs et ton sang, ab?me ta sant�� et abr��ge ta vie: et, lorsqu'ils seront devenus grands, il ne voudront plus reconna?tre ni regarder leur p��re, le pauvre ouvrier us��.
Ces paroles n'��taient pas sans faire impression sur l'esprit d'Adrien Damhout. Il parut triste et r��fl��chit un moment. Puis il dit en h��sitant:
--Cependant, Wildenslag, l'instruction est un tr��sor, une puissance qui rend l'homme propre �� tout; et puisque nous ne pouvons laisser d'autre h��ritage �� nos enfants...
--Des contes, des r��ves de ta femme! reprit l'autre. Que veux-tu donc, pour l'amour du ciel, qu'un fileur ou un tisserand fasse de l'instruction? Que nous servirait maintenant de savoir lire et ��crire? As-tu gagn�� moins, parce que, toi, aussi bien que moi, tu ne distingues pas un A d'un B? Allons, allons, ce n'est qu'orgueil et radotage. Nos parents ont travaill�� d��s leur plus tendre jeunesse, nous
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