passant la Seine devant les hauteurs de Nimio
(Chaillot); et alors s'engagea dans la plaine, dite aujourd'hui de
Grenelle, un combat où les Gaulois furent vaincus, et dans lequel les
soldats de Lutèce périrent presque tous. C'est la première bataille de
Paris! On sait quelle a été la dernière!... Entre ces deux défaites, que de
fortunes diverses avaient courues la puissante Rome et l'humble Lutèce!
Dans la première, un Romain conquérait la Gaule pour s'en faire un
marchepied au suprême pouvoir,
à l'empire du monde; dans la
deuxième, le César de l'histoire moderne perdait avec la Gaule, à qui il
avait donné une grandeur digne de la grandeur romaine, avec l'Italie,
conquise à son tour par la Gaule, la fortune de cet enfant de Paris
proclamé dans son berceau roi de Rome!
Pendant 400 ans, on n'entend plus parler de la petite Lutèce jusqu'à
Julien l'Apostat, ce Voltaire couronné du IVe siècle, qui habita durant
deux hivers le palais des Thermes, bâti, dit-on, par Constance, et dont
quelques ruines existent encore. Il y avait rassemblé quelques savants:
l'un deux, Oribase, y rédigea un abrégé de Galien; et voilà le premier
ouvrage publié dans une ville dont les livres ont changé la face du
monde! Julien aimait la cité des Parisiens, qu'il appelle sa chère Lutèce.
Il vante son climat, ses eaux, même ses figuiers et ses vignobles; il
vante, par-dessus tout, ses habitants et leurs moeurs austères. «Ils
n'adorent Vénus, dit-il, que comme présidant au mariage; ils n'usent des
dons de Bacchus que parce que ce dieu est le père de la joie et qu'il
contribue avec Vénus à donner de nombreux enfants; ils fuient les
danses lascives, l'obscénité et l'impudence des théâtres, etc.»
Sous Julien, Paris eut sa première grande scène militaire: c'est là que
les soldats romains, refusant d'obéir aux ordres de Constance qui les
appelait en Orient, proclamèrent le jeune philosophe empereur. «A
minuit, raconte Ammien Marcellin, les légions se soulèvent,
environnent le palais des Thermes et, tirant leurs épées à la lueur des
flambeaux, s'écrient: Julien Auguste! Julien fait barricader les portes:
elles sont forcées; les soldats le saisissent, le portent à son tribunal avec
des cris furieux; en vain il les prie, il les conjure; tous déclarent qu'il
s'agit de l'empire ou de la mort. Il cède: une acclamation le salue
empereur; on l'élève sur un bouclier, et on lui met le collier d'un soldat
en guise de diadème.» Pour trouver un second exemple d'un
empereur couronné à Paris, il faut traverser 1,444 ans et passer de
Julien à Napoléon!
A cette époque (360), Lutèce s'était embellie. Ses deux ponts
(Pont-au-Change et Petit-Pont) avaient été rétablis, fortifiés de deux
grosses tours (les deux Châtelets) et unis par une voie tortueuse, la plus
ancienne de la ville, qui suivait l'emplacement des rues de la Barillerie,
de la Calandre et du Marché-Palu. Il y avait dans la Cité, à la pointe
occidentale, un palais ou forteresse dont l'origine est inconnue; à la
pointe orientale, un temple ou un autel de Jupiter qui avait été élevé du
temps de Tibère par les nautes ou bateliers parisiens. Sur la rive droite
se trouvait un faubourg composé de villas; sur l'emplacement du
Palais-Royal, un vaste réservoir destiné à des bains; sur l'emplacement
de la rue Vivienne et du marché Saint-Jean, deux champs de sépultures.
Sur la rive gauche beaucoup plus peuplée et plus riche en monuments,
outre le palais des Thermes qui couvrait, avec ses jardins, une partie
des quartiers Saint-Jacques et Saint-Germain, il y avait deux grandes
voies bordées de constructions, de vignobles et de tombeaux, un
Champ de Mars vers l'emplacement de la Sorbonne, un temple de
Mercure sur le mont Locutitius (mont Sainte-Geneviève), des arènes
dans le faubourg Saint-Victor, etc. De plus, Lutèce était devenue l'une
des cités principales de la Gaule et la station de la flottille romaine qui
gardait la Seine. D'ailleurs elle avait pris une nouvelle existence par la
conversion d'une partie de ses habitants au christianisme: saint Denis et
ses deux compagnons, Rustique et Éleuthère, y étaient venus, vers le
milieu du IIIe siècle, prêcher l'Évangile, et ils y avaient reçu la
couronne du martyre. Enfin, si l'on en croit Grégoire de Tours, il y avait
sur cette ville des traditions merveilleuses: «elle était sacrée, le feu
n'avait pas prise sur elle, les serpents ne pouvaient l'habiter, etc.»
Valentinien et Gratien firent quelque séjour à Lutèce: trois de
leurs lois, datées de 365, ont été publiées dans cette ville. Ce fut près de
ses murs que ce dernier, en 383, fut trahi par ses troupes et perdit
l'empire. Maxime, qui le vainquit, fit élever à ce sujet un monument
triomphal dont on a retrouvé les ruines dans l'île de la Cité. Après eux,
on n'entend plus parler de Lutèce que dans les