habit de guerre; leurs princes, l'un d'eux sur-tout,
dont la démarche et les traits, dont l'intrépidité et l'esprit semblent leur
promettre un héros, s'offrent à les conduire. Une ardeur, une fureur
chevaleresque s'empare de tous leurs esprits.
On assure qu'en même temps des hommes, ou perfides, ou abusés, ont
persuadé à Frédéric que Napoléon est forcé de se montrer pacifique,
que ce guerrier ne veut point la guerre; ils ajoutent qu'il traite
perfidement de la paix avec l'Angleterre, au prix de la restitution du
Hanovre, qu'il veut reprendre à la Prusse. Frédéric, entraîné par le
mouvement général, laisse enfin éclater toutes ces passions. Son armée
s'avance, il en menace Napoléon, et quinze jours après il n'a plus
d'armée, plus de royaume; il fuit seul, et Napoléon date de Berlin ses
décrets contre l'Angleterre.
La Prusse humiliée et conquise, il devint impossible à Napoléon de s'en
dessaisir; elle se serait rangée sous le canon des Russes. Ne pouvant la
gagner, comme la Saxe, par un grand acte de générosité, il restait à la
dénaturer, en la divisant: et cependant, soit pitié, soit effet de la
présence d'Alexandre, il ne se décida pas à la démembrer. Cette
position était fausse, comme la plupart de celles où l'on s'arrête en
chemin; Napoléon ne tarda pas à le sentir, et quand il s'écriait, «Se
peut-il que j'aie laissé à cet homme tant de pays!» c'est que
vraisemblablement il ne pardonnait pas à la Prusse la protection
d'Alexandre: il la haïssait, s'y sentant haï.
En effet, les étincelles d'une haine jalouse et impatiente échappaient à
la jeunesse prussienne, qu'exaltait une éducation patriotique, libérale et
mystique. C'était au milieu d'elle que s'était élevée une puissance
formidable contre celle de Napoléon: elle se composait de tout ce que
sa victoire avait dédaigné ou offensé; elle avait toutes les forces des
faibles et des opprimés, le droit naturel, le mystère, le fanatisme, la
vengeance! La terre lui manquant, elle s'appuyait du ciel, et ses forces
morales échappaient à la puissance matérielle de Napoléon. Animée de
cet esprit de secte ardent, dévoué, infatigable, elle épiait tous les
mouvemens de son ennemi, tous ses côtés faibles, se glissait dans tous
les intervalles de sa puissance; et, se tenant prête à saisir toutes les
occasions, elle savait attendre avec ce caractère patient et flegmatique
des Allemands, cause de leur défaite, et contre lequel s'usait notre
victoire.
Cette vaste conspiration était celle des amis de la vertu[1].
[Note 1: En 1808, plusieurs hommes de lettres de Koenigsberg, affligés
des maux qui désolaient leur patrie, s'en prirent à la corruption générale
des moeurs; elle avait, selon ces philosophes, étouffé le véritable
patriotisme dans les citoyens, la discipline dans l'armée, le courage
dans le peuple. Les hommes de bien devaient donc se réunir pour
régénérer la nation par l'exemple de tous les sacrifices. En conséquence
ceux-ci formèrent une association qui prit le nom d'Union morale et
scientifique. Le gouvernement l'approuva, en lui interdisant toutefois, la
politique. Cette résolution, toute noble qu'elle était, se serait peut-être
perdue, comme tant d'autres, dans le vague de la métaphysique
allemande; mais, vers le même temps, le prince Guillaume, dépossédé
du duché de Brunswick, s'était retiré dans, sa principauté d'Oels en
Silésie: on dit que du sein de ce refuge, il aperçut les premiers progrès
de l'union morale dans la nation prussienne. Il s'y affilia et, le coeur
tout rempli de haine et de vengeance, il conçut l'idée d'une autre ligue:
elle devait se composer d'hommes déterminés à renverser la
confédération du Rhin et à chasser les Français du sol de la Germanie.
Cette union, dont le but était plus réel et plus positif que celui de la
première, l'attira tout entière dans son sein, et de ces deux associations
se forma celle des amis de la vertu.
Déjà, vers le 31 mai 1809, trois entreprises, celles de Katt, Doernberg
et de Schill, avaient signalé son existence. Celle du duc Guillaume
commença le 14 mai. Les Autrichiens la soutinrent d'abord. Après des
fortunes diverses, ce chef abandonné à lui-même au milieu de l'Europe
soumise, et seul avec deux mille hommes contre toute la puissance de
Napoléon, ne céda pas; il lui tint tête: il se jeta sur la Saxe et sur le
Hanovre; mais, n'ayant pu les soulever, il se fit jour à travers plusieurs
corps français qu'il battit, joignit la mer à Elsflet, et s'échappa du
continent sur des vaisseaux anglais qui l'attendaient là pour recueillir sa
haine et la gloire qu'il venait d'acquérir.]
Son chef, c'est-à-dire celui qui vint à propos pour donner une
expression précise, une direction de l'ensemble à toutes ces volontés,
fut Stein. Peut-être Napoléon eût-il pu le gagner, il préféra le punir. Son
plan venait d'être découvert par un de ces hasards auxquels la police
doit la plupart de ses miracles; mais quand les conjurations
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