Histoire de France 1180-1304 | Page 5

Jules Michelet
croix en 1200. Ces nobles du Midi ��taient des gens d'esprit qui savaient bien la plupart que penser de leur noblesse. Il n'y en avait gu��re qui, en remontant un peu, ne rencontrassent dans leur g��n��alogie quelque grand'm��re sarrasine (p. 013) ou juive. Nous avons d��j�� vu qu'Eudes, l'ancien duc d'Aquitaine, l'adversaire de Charles Martel, avait donn�� sa fille �� un ��mir sarrasin. Dans les romans carlovingiens, les chevaliers chr��tiens ��pousent sans scrupule leur belle lib��ratrice, la fille du sultan. �� dire vrai, dans ce pays de droit romain, au milieu des vieux municipes de l'Empire, il n'y avait pas pr��cis��ment de nobles, ou plut?t tous l'��taient; les habitants des villes, s'entend. Les villes constituaient une sorte de noblesse �� l'��gard des campagnes. Le bourgeois avait, tout comme le chevalier, sa maison fortifi��e et couronn��e de tours. Il paraissait dans les tournois[12], et souvent d��sar?onnait le noble qui n'en faisait que rire.
[Note 12: Dans les Preuves de l'Histoire g��n��rale du Languedoc, t. III, p. 607, on trouve une attestation de plusieurs Damoisels (Domicelli), chevaliers, juristes, etc. ?Quod usus et consuetudo sunt et fuerunt longissimis temporibus observati, et tanto tempore quod in contrarium memoria non exstitit in senescallia Belliquadri et in Provincia, quod Burgenses consueverunt a nobilibus et baronibus et etiam ab archiepiscopis et episcopis, sine principis auctoritate et licentia, impune cingulum militare assumere, et signa militaria habere et portare, et gaudere privilegio militari.?--Chron. Languedoc. ap. D. Vaiss��te. Preuves de l'Histoire du Languedoc.? Ensuite parla un autre baron appel�� Valats, et il dit au comte: ?Seigneur, ton fr��re te donne un bon conseil (le conseil d'��pargner les Toulousains), et si tu me veux croire, tu feras ainsi qu'il t'a dit et montr��; car, Seigneur, tu sais bien que la plupart sont gentilshommes, et par honneur et noblesse, tu ne dois pas faire ce que tu as d��lib��r��.?]
Si l'on veut conna?tre ces nobles, qu'on lise ce qui reste de Bertrand de Born, cet ennemi jur�� de la paix, ce Gascon qui passa sa vie �� souffler la guerre et �� la chanter. Bertrand donne au fils (p. 014) d'��l��onore de Guienne, au bouillant Richard, un sobriquet: Oui et non[13]. Mais ce nom lui va fort bien �� lui-m��me et �� tous ces mobiles esprits du Midi.
[Note 13: Oc et non.]
Gracieuse, mais l��g��re, trop l��g��re litt��rature, qui n'a pas connu d'autre id��al que l'amour, l'amour de la femme. L'esprit scolastique et l��giste envahit d��s leur naissance les fameuses cours d'Amour. Les formes juridiques y ��taient rigoureusement observ��es dans la discussion des questions l��g��res de la galanterie[14]. Pour ��tre p��dantesques, les d��cisions n'en ��taient pas moins immorales. La belle comtesse de Narbonne, Ermengarde (1143-1197), l'amour des po��tes et des rois, d��cide dans un arr��t conserv�� religieusement, que l'��poux divorc�� peut fort bien redevenir l'amant de sa femme mari��e �� un autre. ��l��onore de Guienne prononce que le v��ritable amour ne peut exister entre ��poux; elle permet de prendre pour quelque temps une autre amante afin d'��prouver la premi��re. La comtesse de Flandre, princesse de la maison d'Anjou (vers 1134), la comtesse de Champagne, fille d'��l��onore, avaient institu�� de pareils tribunaux dans le nord de la France; et probablement ces contr��es, qui prirent part �� la croisade des Albigeois, avaient ��t�� m��diocrement ��difi��es de la (p. 015) jurisprudence des dames du Midi.
[Note 14: Raynouard, po��sies des Troubadours, II, p. 122. La cour d'Amour ��tait organis��e sur le mod��le des tribunaux du temps. Il en existait encore une sous Charles VI, �� la cour de France; on y distinguait des auditeurs, des ma?tres des requ��tes, des conseillers, des substituts du procureur g��n��ral, etc., etc.; mais les femmes n'y si��geaient pas.]
Un mot sur la situation politique du Midi. Nous en comprendrons d'autant mieux sa r��volution religieuse.
Au centre, il y avait la grande cit�� de Toulouse, r��publique sous un comte. Les domaines de celui-ci s'��tendaient chaque jour. D��s la premi��re croisade, c'��tait le plus riche prince de la chr��tient��. Il avait manqu�� la royaut�� de J��rusalem, mais pris Tripoli. Cette grande puissance ��tait, il est vrai, fort inqui��t��e. Au nord, les comtes de Poitiers, devenus rois d'Angleterre, au midi la grande maison de Barcelone, ma?tresse de la Basse-Provence et de l'Aragon, traitaient le comte de Toulouse d'usurpateur, malgr�� une possession de plusieurs si��cles. Ces deux maisons de Poitiers et de Barcelone avaient la pr��tention de descendre de saint Guilhem, le tuteur de Louis le D��bonnaire, le vainqueur des Maures, celui dont le fils Bernard avait ��t�� proscrit par Charles le Chauve. Les comtes de Roussillon, de Cerdagne, de Conflant, de B��zalu, r��clamaient la m��me origine. Tous ��taient ennemis du comte de Toulouse. Il n'��tait gu��re mieux avec les maisons de B��ziers, Carcassonne, Albi et N?mes. Aux Pyr��n��es c'��taient des seigneurs pauvres et braves, singuli��rement entreprenants, gens �� vendre, esp��ces de condottieri, que la fortune destinait aux plus grandes
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