choses; je parle des maisons de Foix, d'Albret et d'Armagnac. Les Armagnacs prétendaient aussi au comté de Toulouse et l'attaquaient souvent. On sait le r?le qu'ils ont joué au XIVe et au XVe siècles; histoire tragique, incestueuse, impie. Le Rouergue et l'Armagnac, (p. 016) placés en face l'un de l'autre, aux deux coins de l'Aquitaine, sont, comme on sait, avec N?mes, la partie énergique, souvent atroce du midi. Armagnac, Comminges, Béziers, Toulouse, n'étaient jamais d'accord que pour faire la guerre aux églises. Les interdits ne les troublaient guère. Le comte de Comminges gardait paisiblement trois épouses à la fois. Si nous en croyons les chroniqueurs ecclésiastiques, le comte de Toulouse, Raimond VI, avait un harem. Cette Judée de la France, comme on a appelé le Languedoc, ne rappelait pas l'autre seulement par ses bitumes et ses oliviers; elle avait aussi Sodome et Gomorrhe, et il était à craindre que la vengeance des prêtres ne lui donnat sa mer Morte.
Que les croyances orientales aient pénétré dans ce pays, c'est ce qui ne surprendra pas. Toute doctrine y avait pris; mais le manichéisme, la plus odieuse de toutes dans le monde chrétien, a fait oublier les autres. Il avait éclaté de bonne heure au moyen age en Espagne. Rapporté, ce semble, en Languedoc de la Bulgarie et de Constantinople[15] il y prit pied aisément. Le dualisme persan leur sembla expliquer (p. 017) la contradiction que présentent également l'univers et l'homme. Race hétérogène, ils admettaient volontiers un monde hétérogène; il leur fallait à c?té du bon Dieu, un Dieu mauvais à qui ils pussent imputer tout ce que l'Ancien Testament présente de contraire au Nouveau[16]; à ce Dieu revenaient encore la dégradation du christianisme et l'avilissement de l'église. En eux-mêmes, et dans leur propre corruption, ils reconnaissaient la main d'un créateur malfaisant, qui s'était joué du monde. Au bon Dieu l'esprit, au mauvais la chair. Celle-ci, il fallait l'immoler. C'est là le grand mystère du manichéisme. Ici se présentait un double chemin. Fallait-il la dompter, cette chair, par l'abstinence, je?ner, fuir le mariage, restreindre la vie, prévenir la naissance, et dérober au démon créateur tout ce que lui peut ravir la volonté? Dans ce système, l'idéal de la vie, c'est la mort, et la perfection serait le suicide. Ou bien, faut-il dompter la chair, en l'assouvissant, faire taire le monstre, en emplissant sa gueule aboyante, y jeter quelque chose de soi pour sauver le reste... au risque d'y jeter tout, et d'y tomber soi-même tout entier?
[Note 15: On appelait les hérétiques Bulgares, ou Catharins, du mot grec [Greek: catharos], i.e. pur.
En conservant sur les Albigeois notre récit basé sur le po?me orthodoxe qu'a publié M. Fauriel et sur la chronique en prose qu'on en a tirée au XIVe siècle, nous renvoyons à l'histoire de M. Schmidt, reconstruite avec les interrogatoires trouvés dans les archives de Carcassonne et de Toulouse. Nous attendons patiemment l'ouvrage de M. N. Peyrat, qui a eu d'autres sources et va renouveler une histoire écrite jusqu'ici sur le témoignage des persécuteurs (1860).]
[Note 16: Pierre de Vaux-Cernay.]
Nous savons mal quelles étaient les doctrines précises des manichéens du Languedoc. Dans les récits de leurs ennemis, nous voyons qu'on leur impute à la fois des choses contradictoires, qui sans doute s'appliquent à des sectes différentes[17].
[Note 17: Selon les uns, Dieu a créé; selon d'autres, c'est le Diable (Mansi op. Giesler). Les uns veulent qu'on soit sauvé par les oeuvres (Ebrard), et les autres par la foi (Pierre de Vaux-Cernay). Ceux-là prêchent un Dieu matériel; ceux-ci pensent que Jésus-Christ n'est pas mort en effet, et qu'on n'a crucifié qu'une ombre. D'autre part, ces novateurs disent prêcher pour tous, et plusieurs d'entre eux excluent les femmes de la béatitude éternelle (Ebrard). Ils prétendent simplifier la loi, et prescrivent cent génuflexions par jour (Heribert). La chose dans laquelle ils semblent s'accorder, c'est la haine du Dieu de l'Ancien Testament. ?Ce Dieu qui promet et ne tient pas, disent-ils, c'est un jongleur. Mo?se et Josué étaient des routiers à son service.?
?D'abord il faut savoir que les hérétiques reconnaissaient deux créateurs, l'un, des choses invisibles, qu'ils appelaient le bon Dieu; l'autre, du monde visible, qu'ils nommaient le Dieu méchant. Ils attribuaient au premier le Nouveau Testament, et au second l'Ancien, qu'ils rejetaient absolument, hors quelques passages transportés de l'Ancien dans le Nouveau, et que leur respect pour ce dernier leur faisait admettre.
?Ils disaient que l'auteur de l'Ancien Testament était un menteur, parce qu'il est dit dans la Genèse: ?En quelque jour que vous mangiez de l'arbre de la science du bien et du mal, vous mourrez de mort;? et pourtant, disaient-ils, après en avoir mangé, ils ne sont pas morts. Ils le traitaient aussi d'homicide, pour avoir réduit en cendres ceux de Sodome et de Gomorrhe, et détruit le monde par les eaux du déluge, pour avoir enseveli
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