conte de fée continuait.
--Comment! vous voudriez, monsieur Armand?...--et déjà une nuance
d'intimité s'établissait entre eux par ce prénom d'Armand qu'elle
prononçait pour la première fois.--C'est sérieusement?... vous m'invitez
à dîner?
Il crut qu'elle allait refuser, et cette crainte l'enhardit encore.
--Mais oui. Dînons ensemble... Là, comme deux camarades... Je suis
attendu chez un ami. Mais qu'importe! Je m'excuserai. J'enverrai un
mot, du restaurant... Oh! acceptez. Vous me rendrez si heureux.
Puis il ajouta, perdant la tête:
--Vous êtes si charmante! Je voudrais tant vous connaître mieux,
devenir un peu votre ami!...
Et il osa lui offrir le bras.
Henriette le prit. Elle se sentait défaillir, et ravie, livrant aussi son
secret, elle murmura:
--Quel bonheur! Moi qui ne fais que penser à vous!
Pauvres enfants! Depuis un quart d'heure à peine, ils pouvaient se
parler librement, et déjà, dans leur sincérité naïve, ils avaient échangé
leurs aveux. Ébahis et muets de bonheur, ils allaient devant eux, sans
savoir où. Ils avaient atteint le boulevard Montparnasse, où circulaient
de nombreux promeneurs, et les bonnes gens se retournaient avec un
sourire pour suivre ce joli couple si bien appareillé, si gracieux et si
jeune. Mais les amoureux n'y prenaient pas garde, absorbés qu'ils
étaient dans leur joie intime. Ils se remirent à causer. Ils se rappelèrent
les jours de timidité et de contrainte.
--Ainsi, c'est vrai? demandait Armand. Vous aviez depuis longtemps un
peu de sympathie pour moi?
--C'est-à-dire, répondait Henriette, que je ne vivais plus que pour les
minutes où vous traversiez le petit salon... Quand je voyais seulement
le bouton de la porte qui tournait... allez! je devinais bien si c'était
vous... Oh! si vous saviez!...
--Est-ce possible?... Et je ne me suis aperçu de rien!
--Oh! moi, disait alors Henriette avec une toute petite malice dans le
regard, j'avais bien remarqué que vous passiez près de moi souvent.
--Et dire, reprenait Armand qui s'exaltait, que les choses auraient pu
durer toujours ainsi, et que, sans notre rencontre de ce soir... Mais c'est
fini, tout cela, heureusement! C'est bien fini! Quel bon hasard que je
vous aie rencontrée!... Pour un rien, j'allais passer sans vous dire un
mot. Je suis si peu hardi! Mais j'ai vu tout de suite dans vos yeux qu'il
fallait vous parler, que cela vous ferait plaisir... Nous nous connaissons,
à présent, n'est-ce pas? Et nous allons nous arranger pour nous revoir...
souvent, oh! le plus souvent possible!... et vous deviendrez ma petite
amie, voulez-vous?
Et la fillette, avec sa franchise populaire, qu'un sceptique eût prise pour
de l'effronterie, mais qui semblait adorable à Armand, répondait, la
voix sourde et les yeux baissés:
--Vous le voyez bien... que je veux!
VII
Près de la gare Montparnasse, ils entrèrent au restaurant Lavenue,
qu'Armand connaissait un peu pour y avoir déjeuné avec des amis de
l'École de Droit, et ils s'installèrent dans le prétendu jardin, qui n'est
guère planté que de candélabres à gaz et de patères à chapeaux, mais où,
ce jour-là, un acacia fleuri du voisinage répandait son parfum printanier.
Armand envoya d'abord, par un commissionnaire, un billet d'excuse
dans la maison où il était invité, puis il commanda, ou, pour mieux dire,
accepta le menu qui lui fut imposé par un maître d'hôtel plein d'autorité.
Qu'importait aux deux jeunes gens la sole Joinville ou le filet Rossini?
Ils étaient assis l'un en face de l'autre, se dévorant des yeux, bavardant
comme les oiseaux chantent, et, dans les phrases les plus banales qu'ils
échangeaient: «De l'eau, tout plein, je vous prie», ou «Encore un peu de
poisson», il y avait du désir et de la tendresse.
Armand fit causer sa nouvelle amie. Elle lui conta son humble histoire.
Non, bien sûr, elle n'avait pas été élevée dans du coton. Pourtant, quand
elle était toute petite, la vie n'avait pas été trop dure. Son père,--un
veuf,--bon ouvrier mécanicien, gagnait un assez gros salaire et pouvait
subvenir aux besoins de sa petite fille et d'une vieille soeur à lui, qui
prenait soin de l'enfant. Mais, un jour, le pauvre homme était pris,
déchiré dans un engrenage, mourait misérablement. Et la voilà toute
seule avec sa tante, une femme de la campagne, qui n'avait pas d'état.
L'ancien patron du père servait bien une petite pension à l'orpheline; la
vieille femme faisait des ménages. Mais, tout de même, on avait été
bien malheureux. L'enfant, qui venait de faire sa première communion,
avait dû tout de suite entrer en apprentissage, quitter l'école, où, du
reste, elle n'avait pas appris grand'chose.
--Oh! monsieur Armand, si vous voyiez mon griffonnage, et les
vilaines fautes que je fais... J'en ai honte!
Et elle disait les longues années de vache enragée, le pauvre petit luxe
du ménage s'en allant pièce à pièce, la pendule si souvent mise au
Mont-de-Piété pour acheter un pot-au-feu, les anxiétés périodiques
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