Henri III et sa Cour | Page 7

Alexandre Dumas, père
ciseaux: une troisième couronne.
BUSSY-LECLERC
Ainsi soit-il!...n'est-ce pas, mon vieux sorcier? car je présume que tu es de notre avis, puisque tu ne dis rien...
RUGGIERI
J'attendais l'occasion favorable de vous présenter une petite requête.
BUSSY-LECLERC
Laquelle?
RUGGIERI, lui donnant le billet de d'Epernon
La voici...
BUSSY-LECLERC
Comment! un bon du d'Epernon...sur moi? C'est une plaisanterie.
RUGGIERI
Il a dit que, si vous n'y faisiez pas honneur, il irait vous trouver, et le ferait acquitter lui-même...
BUSSY-LECLERC
Qu'il vienne, morbleu!...a-t-il oublié qu'avant d'être procureur, j'ai été ma?tre d'armes au régiment de Lorraine?...Je crois que le cher favori est jaloux des statues qui ornent les tombeaux de Quélus et de Maugiron? Eh bien, qu'à cela ne tienne: nous le ferons tailler en marbre à son tour.
LE DUC DE GUISE
Gardez-vous-en bien, ma?tre Bussy! Je ne voudrais pas, pour vingt-cinq de mes amis, ne pas avoir un tel ennemi...Son insolence recrute pour nous...Donne-moi ce billet, Ruggieri. Dix écus noble rose, c'est cent vingt livres tournois...Les voici.
BUSSY-LECLERC
Que faites-vous donc, monseigneur?...
LE DUC DE GUISE
Soyez tranquille; quand le moment de régler nos comptes sera arrivé, je m'arrangerai de manière qu'il ne reste pas mon débiteur...Mais il se fait tard...A demain soir, messieurs. Les portes de l'h?tel de Guise seront ouvertes à tous nos amis; madame de Montpensier en fera les honneurs; et seront doublement bien re?us par elle ceux qui viendront avec la double croix! Ruggieri, reconduis ces messieurs. Ainsi, c'est dit; à demain soir, à l'h?tel de Guise.
CRUCE
Oui, monseigneur...(Ils sortent)
SCENE VIII
LE DUC DE GUISE, seul
(Il s'assied sur le sofa où la duchesse a oublié son mouchoir)
Par saint Henri de Lorraine! c'est un rude métier que celui que j'ai entrepris...Ces gens-là croient qu'on arrive au tr?ne de France comme à un bénéfice de province. Le duc de Guise roi de France! c'est un beau rêve...Cela sera pourtant; mais, auparavant, que de rivaux à combattre! Le duc d'Anjou, d'abord;...c'est le moins à craindre; il est ha? également du peuple et de la noblesse, et on le déclarerait facilement hérétique et inhabile à succéder...Mais, à son défaut l'Espagnol n'est-il pas là pour réclamer, à titre de beau-frère, l'héritage du Valois?...Le duc de Savoie, son oncle par alliance, voudra élever des prétentions. Un duc de Lorraine a épousé sa soeur...Peut-être y aurait-il un moyen: ce serait de faire passer la couronne de France sur la tête du vieux cardinal de Bourbon, et de le forcer à me reconna?tre comme héritier...J'y songerai...Que de peines! de tourments!...pour qu'à la fin peut-être la balle d'un pistolet ou la lame d'un poignard...Ah! (Il laisse tomber sa main avec découragement; elle se pose sur le mouchoir oublié par la duchesse.) Qu'est cela?...Mille damnations! ce mouchoir appartient à la duchesse de Guise! voilà les armes réunies de Clèves et de Lorraine...Elle serait venue ici!...Saint-Mégrin!...O Mayenne! Mayenne! tu ne t'étais donc pas trompé! et lui...lui...(Appelant) Saint-Paul! (Son écuyer entre) Je vais...Saint-Paul! qu'on me cherche les mêmes hommes qui ont assassiné Dugast.

ACTE DEUXIEME
Une salle du Louvre.--A gauche, deux fauteuils et quelques tabourets préparés pour le roi, la reine mère et les courtisans. Joyeuse est couché dans l'un de ces fauteuils, et Saint-Mégrin, debout, appuyé sur le dossier de l'autre. Du c?té opposé, d'Epernon est assis à une table sur laquelle est posé un échiquier. Au fond, Saint-Luc fait des armes avec du Halde. Chacun d'eux a près de lui un page à ses couleurs.
SCENE PREMIERE
JOYEUSE, SAINT-MEGRIN, D'EPERNON, SAINT-LUC, DU HALDE, Pages
D'EPERNON
Messieurs, qui de vous fait ma partie d'échecs, en attendant le retour du roi? Saint-Mégrin, ta revanche?
SAINT-MEGRIN
Non, je suis distrait aujourd'hui.
JOYEUSE
Oh! décidément, c'est la prédiction de l'astrologue...Vrai Dieu! c'est un véritable sorcier. Sais-tu bien qu'il avait prédit à Dugast qu'il n'avait plus que quelques jours à vivre, quand la reine Marguerite l'a fait assassiner? Je parie que c'est un horoscope du même genre qui occupe Saint-Mégrin, et que quelque grande dame dont il est amoureux...
SAINT-MEGRIN, l'interrompant vivement
Mais toi-même, Joyeuse, que ne fais-tu la partie de d'Epernon?
JOYEUSE
Non, merci.
D'EPERNON
Est-ce que tu veux réfléchir aussi, toi?
JOYEUSE
C'est, au contraire, pour ne pas être obligé de réfléchir.
SAINT-LUC
Eh bien, veux-tu faire des armes avec moi, vicomte?
JOYEUSE
C'est trop fatigant, et puis tu n'es pas de ma force. Fais une oeuvre charitable, tire d'Epernon d'embarras...
SAINT-LUC
Soit.
JOYEUSE, tirant un bilboquet de son escarcelle
Vive Dieu! messieurs, voilà un jeu...Celui-là ne fatigue ni le corps ni l'esprit...Sais-tu bien que cette nouvelle invention a eu un succès prodigieux chez la présidente? A propos, tu n'y étais pas, Saint-Luc; qu'es-tu donc devenu?
SAINT-LUC
J'ai été voir les Gelosi; tu sais, ces comédiens italiens qui ont obtenu la permission de représenter des mystères à l'h?tel de Bourbon.
JOYEUSE
Ah! oui,...moyennant quatre sous par personne.
SAINT-LUC
Et puis, en passant...Un instant, d'Epernon, je n'ai pas joué.
JOYEUSE
Et puis, en passant?...
SAINT-LUC
Où?
JOYEUSE
En passant, disais-tu?
SAINT-LUC
Oui...Je me suis arrêté en face de Nesle, pour y voir poser la première pierre d'un pont qu'on appellera le pont Neuf.
D'EPERNON
C'est Ducerceau qui l'a entrepris...On dit que le roi va lui accorder des lettres de noblesse.
JOYEUSE
Et justice sera faite...Sais-tu bien qu'il m'épargnera
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