résidence du vice-roi. À l'époque où cette histoire se
passe--en 1699--le royaume de Norvège était encore uni au Danemark et gouverné par
des vice-rois, dont le séjour était Berghen, cité plus grande, plus méridionale et plus belle
que Drontheim, en dépit du surnom de mauvais goût que lui donnait le célèbre amiral
Tromp.
Drontheim offre un aspect agréable lorsqu'on y arrive par le golfe auquel cette ville
donne son nom; le port assez large, quoique les vaisseaux n'y entrent pas aisément en tout
temps, ne présentait toutefois alors que l'apparence d'un long canal, bordé à droite de
navires danois et norvégiens, à gauche de navires étrangers, division prescrite par les
ordonnances. On voit dans le fond la ville assise sur une plaine bien cultivée, et
surmontée par les hautes aiguilles de sa cathédrale. Cette église, un des plus beaux
morceaux de l'architecture gothique, comme on peut en juger par le livre du professeur
Shoenning--si savamment cité par Spiagudry--qui la décrivit avant que de fréquents
incendies ne l'eussent ravagée, portait sur sa flèche principale la croix épiscopale, signe
distinctif de la cathédrale de l'évêché luthérien de Drontheim. Au-dessus de la ville, on
aperçoit dans un lointain bleuâtre les cimes blanches et grêles des monts de Kole,
pareilles aux fleurons aigus d'une couronne antique.
Au milieu du port, à une portée de canon du rivage, s'élève, sur une masse de rochers
battus des flots, la solitaire forteresse de Munckholm, sombre prison qui renfermait alors
un captif célèbre par l'éclat de ses longues prospérités et de ses rapides disgrâces.
Schumacker, né dans un rang obscur, avait été comblé des faveurs de son maître, puis
précipité du fauteuil de grand-chancelier de Danemark et de Norvège sur le banc des
traîtres, puis traîné sur l'échafaud, et de là jeté par grâce dans un cachot isolé à l'extrémité
des deux royaumes. Ses créatures l'avaient renversé, sans qu'il eût droit de crier à
l'ingratitude. Pouvait-il se plaindre de voir se briser sous ses pieds des échelons qu'il
n'avait placés si haut que pour s'élever lui-même?
Celui qui avait fondé la noblesse en Danemark voyait, du fond de son exil, les grands
qu'il avait faits se partager ses propres dignités. Le comte d'Ahlefeld, son mortel ennemi,
était son successeur comme grand-chancelier; le général Arensdorf disposait, comme
grand maréchal, des grades militaires; et l'évêque Spollyson exerçait la charge
d'inspecteur des universités. Le seul de ses ennemis qui ne lui dût pas son élévation était
le comte Ulric-Frédéric Guldenlew, fils naturel du roi Frédéric III, vice-roi de Norvège;
c'était le plus généreux de tous.
C'est vers le triste rocher de Munckholm que s'avançait assez lentement la barque du
jeune homme à la plume noire. Le soleil baissait rapidement derrière le château-fort isolé,
dont la masse interceptait ses rayons, déjà si horizontaux que le paysan des collines
lointaines et orientales de Larsynn pouvait voir se promener près de lui, sur les bruyères,
l'ombre vague de la sentinelle placée sur le donjon le plus élevé de Munckholm.
III
Ah! mon coeur ne pouvait être plus sensiblement blessé!... Un jeune homme sans
moeurs... il a osé la regarder! ses regards souillaient sa pureté.--Claudia! cette seule
pensée me met hors de moi.
LESSING.
--Andrew, allez dire que dans une demi-heure on sonne le couvre-feu. Sorsyll relèvera
Duckness à la grande herse, et Maldivius montera sur la plate-forme de la grosse tour.
Qu'on veille attentivement du côté du donjon du Lion de Slesvig. Ne pas oublier à sept
heures de tirer le canon pour qu'on lève la chaîne du port;--mais non, on attend encore le
capitaine Dispolsen; il faut au contraire allumer le fanal et voir si celui de Walderhog est
allumé, comme l'ordre en a été donné aujourd'hui. Surtout qu'on tienne des
rafraîchissements prêts pour le capitaine.--Et, j'oubliais,--qu'on marque pour deux jours
de cachot Toric-Belfast, second arquebusier du régiment; il a été absent toute la journée.
Ainsi parlait le sergent d'armes sous la voûte noire et enfumée du corps de garde de
Munckholm, situé dans la tour basse qui domine la première porte du château.
Les soldats auxquels il s'adressait quittèrent le jeu ou le lit pour exécuter ses ordres; puis
le silence se rétablit.
En ce moment, le bruit alternatif et mesuré des rames se fit entendre au dehors.--Voilà
sans doute, enfin, le capitaine Dispolsen! dit le sergent en ouvrant la petite fenêtre grillée
qui donne sur le golfe.
Une barque abordait en effet au bas de la porte de fer.
--Qui va là? cria le sergent d'une voix rauque.
--Ouvrez! répondit-on; paix et sûreté.
--On n'entre pas; avez-vous droit de passe?
--Oui.
--C'est ce que je vais vérifier; si vous mentez, par les mérites du saint mon patron, je vous
ferai goûter l'eau du golfe.
Puis, refermant le guichet et se retournant, il ajouta:--Ce n'est point encore le capitaine!
Une lumière brilla derrière
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