lapin; pendant que son cheval, un gros cheval jaune, attendait, dans une immobilit�� de pierre, qu'on e?t vid�� les six berlines mont��es par lui. Le manoeuvre employ�� au culbuteur, un gaillard roux et efflanqu��, ne se pressait gu��re, pesait sur le levier d'une main endormie. Et, l��-haut, le vent redoublait, une bise glaciale, dont les grandes haleines r��guli��res passaient comme des coups de faux.
--Bonjour, r��pondit le vieux.
Un silence se fit. L'homme, qui se sentait regard�� d'un oeil m��fiant, dit son nom tout de suite.
--Je me nomme ��tienne Lantier, je suis machineur... Il n'y a pas de travail ici?
Les flammes l'��clairaient, il devait avoir vingt et un ans, tr��s brun, joli homme, l'air fort malgr�� ses membres menus.
Rassur��, le charretier hochait la t��te.
--Du travail pour un machineur, non, non... Il s'en est encore pr��sent�� deux hier. Il n'y a rien.
Une rafale leur coupa la parole. Puis, ��tienne demanda, en montrant le tas sombre des constructions, au pied du terri:
--C'est une fosse, n'est-ce pas?
Le vieux, cette fois, ne put r��pondre. Un violent acc��s de toux l'��tranglait. Enfin, il cracha, et son crachat, sur le sol empourpr��, laissa une tache noire.
--Oui, une fosse, le Voreux... Tenez! le coron est tout pr��s.
A son tour, de son bras tendu, il d��signait dans la nuit le village dont le jeune homme avait devin�� les toitures. Mais les six berlines ��taient vides, il les suivit sans un claquement de fouet, les jambes raidies par des rhumatismes; tandis que le gros cheval jaune repartait tout seul, tirait pesamment entre les rails, sous une nouvelle bourrasque, qui lui h��rissait le poil.
Le Voreux, �� pr��sent, sortait du r��ve. ��tienne, qui s'oubliait devant le brasier �� chauffer ses pauvres mains saignantes, regardait, retrouvait chaque partie de la fosse, le hangar goudronn�� du criblage, le beffroi du puits, la vaste chambre de la machine d'extraction, la tourelle carr��e de la pompe d'��puisement. Cette fosse, tass��e au fond d'un creux, avec ses constructions trapues de briques, dressant sa chemin��e comme une corne mena?ante, lui semblait avoir un air mauvais de b��te goulue, accroupie l�� pour manger le monde.
Tout en l'examinant, il songeait �� lui, �� son existence de vagabond, depuis huit jours qu'il cherchait une place; il se revoyait dans son atelier du chemin de fer, giflant son chef, chass�� de Lille, chass�� de partout; le samedi, il ��tait arriv�� �� Marchiennes, o�� l'on disait qu'il y avait du travail, aux Forges; et rien, ni aux Forges, ni chez Sonneville, il avait d? passer le dimanche cach�� sous les bois d'un chantier de charronnage, dont le surveillant venait de l'expulser, �� deux heures de la nuit. Rien, plus un sou, pas m��me une cro?te: qu'allait-il faire ainsi par les chemins, sans but, ne sachant seulement o�� s'abriter contre la bise? Oui, c'��tait bien une fosse, les rares lanternes ��clairaient le carreau, une porte brusquement ouverte lui avait permis d'entrevoir les foyers des g��n��rateurs, dans une clart�� vive. Il s'expliquait jusqu'�� l'��chappement de la pompe, cette respiration grosse et longue, soufflant sans relache, qui ��tait comme l'haleine engorg��e du monstre.
Le manoeuvre du culbuteur, gonflant le dos, n'avait pas m��me lev�� les yeux sur ��tienne, et celui-ci allait ramasser son petit paquet tomb�� �� terre, lorsqu'un acc��s de toux annon?a le retour du charretier. Lentement, on le vit sortir de l'ombre, suivi du cheval jaune, qui montait six nouvelles berlines pleines.
--Il y a des fabriques �� Montsou? demanda le jeune homme.
Le vieux cracha noir, puis r��pondit dans le vent:
--Oh! ce ne sont pas les fabriques qui manquent. Fallait voir ?a, il y a trois ou quatre ans! Tout ronflait, on ne pouvait trouver des hommes, jamais on n'avait tant gagn��... Et voil�� qu'on se remet �� se serrer le ventre. Une vraie piti�� dans le pays, on renvoie le monde, les ateliers ferment les uns apr��s les autres... Ce n'est peut-��tre pas la faute de l'empereur; mais pourquoi va-t-il se battre en Am��rique? Sans compter que les b��tes meurent du chol��ra, comme les gens.
Alors, en courtes phrases, l'haleine coup��e, tous deux continu��rent �� se plaindre. ��tienne racontait ses courses inutiles depuis une semaine: il fallait donc crever de faim? bient?t les routes seraient pleines de mendiants. Oui, disait le vieillard, ?a finirait par mal tourner, car il n'��tait pas Dieu permis de jeter tant de chr��tiens �� la rue.
--On n'a pas de la viande tous les jours.
--Encore si l'on avait du pain!
--C'est vrai, si l'on avait du pain seulement!
Leurs voix se perdaient, des bourrasques emportaient les mots dans un hurlement m��lancolique.
--Tenez! reprit tr��s haut le charretier en se tournant vers le midi, Montsou est l��...
Et, de sa main tendue de nouveau, il d��signa dans les t��n��bres des points invisibles, �� mesure qu'il les nommait. L��-bas, �� Montsou, la sucrerie Fauvelle marchait encore, mais la sucrerie Hoton venait de r��duire son personnel, il n'y avait gu��re
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