à tous les plaisirs, qu'il n'eut pas le temps de se blaser.
Tout lui parut bon, les jouissances de la table, les satisfactions de la vanité, les émotions du jeu, et même les joies austères de la famille. Il montrait dans sa maison l'empressement d'un jeune mari, et dans le monde la fougue d'un fils de famille émancipé. Sa femme était la plus heureuse de France, mais elle n'était pas la seule dont il fit le bonheur. Il pleura de joie à la naissance de sa fille, vers l'été de 1835. Dans l'excès de son bonheur, il acheta une maison de campagne à une danseuse dont il était fou. Les d?ners qu'il donnait chez lui n'avaient point de rivaux, si ce n'est les soupers qu'il donnait chez sa ma?tresse. Le monde, qui est toujours indulgent pour les hommes, lui pardonna ce gaspillage de sa vie et de sa fortune. On trouva qu'il faisait galamment les choses, puisque ses plaisirs du dehors n'éveillaient pas un écho douloureux dans sa maison. En bonne justice, pouvait-on lui reprocher de répandre un peu partout le trop-plein de sa bourse et de son coeur? Aucune femme ne plaignit la duchesse; et, en effet, elle n'était pas à plaindre. Il évitait soigneusement de se compromettre, il ne se montrait en public qu'avec sa femme, et il aurait mieux aimé manquer une partie que de l'envoyer seule au bal.
Cette vie en partie double, et les ménagements dont un galant homme sait envelopper ses plaisirs, eurent bient?t entamé son capital. Rien ne co?te plus cher à Paris que l'ombre et la discrétion. Le duc était trop grand seigneur pour compter avec personne. Il ne sut jamais rien refuser à sa femme ni à la femme d'autrui. Ne croyez pas qu'il ignorat les brèches énormes qu'il faisait à sa fortune; mais il comptait sur le jeu pour tout réparer. Les hommes à qui le bien est venu en dormant s'habituent à une confiance illimitée dans le destin. M. de La Tour d'Embleuse était heureux comme celui qui prend les cartes pour la première fois. On estime que ses gains de l'année 1841 doublèrent son revenu et au delà. Mais rien ne dure en ce monde, pas même le bonheur au jeu: il en fit bient?t l'expérience. La liquidation de 1848, qui mit à nu tant de misères, lui apprit qu'il était ruiné sans ressource. Il aper?ut sous ses pieds un ab?me sans fond. Un autre aurait perdu l'esprit; il ne perdit pas même l'espérance. Il alla droit à sa femme et lui dit gaiement: ?Ma chère Marguerite, cette maudite révolution nous a tout pris. Nous n'avons pas mille francs à nous.?
La duchesse ne s'attendait pas à semblable nouvelle. Elle songea à sa fille, et pleura amèrement.
?Ne craignez rien, lui dit-il; c'est un orage qui passe. Comptez sur moi; je compte sur le hasard. On dit que je suis un homme léger; tant mieux! je reviendrai sur l'eau.?
La pauvre femme essuya ses larmes et lui dit:
?Bien, mon ami! Vous travaillerez?
--Moi! Fi donc! J'attendrai la Fortune: c'est une capricieuse; elle est trop bien avec moi pour me quitter de but en blanc sans esprit de retour.?
Le duc attendit huit ans dans un petit appartement de l'h?tel de Sanglié, au-dessus des écuries. Ses anciens amis, dès qu'ils eurent le temps de se reconna?tre, l'aidèrent de leur bourse et de leur crédit. Il emprunta sans scrupule, en homme qui avait beaucoup prêté sans billet. On lui offrit plusieurs emplois, tous honorables. Une compagnie industrielle voulut l'adjoindre à son conseil de surveillance, avec une allocation qui valait un traitement. Il refusa, de peur de déroger. ?Je veux bien vendre mon temps, dit-il; mais je n'entends pas prêter mon nom.? C'est ainsi qu'il descendit un à un tous les échelons de la misère, décourageant ses amis, fatiguant ses créanciers, se fermant toutes les portes, usant son nom qu'il ne voulait pas compromettre, mais sans jamais prendre au sérieux l'habit rapé qu'il promenait dans les rues, et sa cheminée sans feu, faute de deux morceaux de bois.
Le 1er janvier 1853, la duchesse portait au mont-de-piété son anneau de mariage.
Il faut être bien destitué de tout secours humain pour engager un objet d'aussi mince valeur qu'un anneau de mariage. Mais la duchesse n'avait pas un centime à la maison, et l'on ne vit pas sans argent, quoique la confiance soit le grand ressort du commerce de Paris. On se procure bien des choses sans les payer, lorsqu'on peut jeter sur le comptoir du marchand un beau nom et une adresse imposante. Vous pouvez meubler votre maison, remplir votre cave et monter votre garde-robe sans faire voir aux fournisseurs la couleur de vos écus. Mais il y a mille dépenses quotidiennes qui ne se font que la bourse à la main. Un habit se prend à crédit, mais le
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