George Sand | Page 4

Elme Caro
de perdre souvent la notion de la r��alit�� et du milieu o�� elle se trouvait. Avec de pareilles dispositions, l'amour du roman, sans qu'elle s?t encore ce que c'��tait que le roman, s'empara d'elle avant qu'elle e?t fini d'apprendre �� lire. Elle composait des histoires interminables en les jouant avec sa soeur Caroline ou sa petite compagne Ursule. C'��tait une sorte de pastiche de tout ce qui entrait dans sa petite cervelle, mythologie et religion m��l��es, dans la singuli��re ��ducation que lui donnait sa m��re, artiste et po��te �� sa mani��re, ?qui lui parlait des trois Graces ou des neuf Muses avec autant de s��rieux que des vertus th��ologales ou des vierges sages?, en amalgamant les contes de Perrault et les pi��ces f��eriques du boulevard, ?si bien que les anges et les amours, la bonne vierge et la bonne f��e, les polichinelles et les magiciens, les diablotins du th��atre et les saints de l'��glise produisaient dans sa t��te le plus ��trange gachis po��tique qu'on puisse imaginer?.
Cette fermentation d'images qui se r��alisaient en sc��nes fantastiques au dedans d'elle-m��me et qu'elle essayait de r��aliser mieux encore dans ses jeux au dehors, se modifiait, mais ne disparaissait pas quand elle passait du petit appartement de la rue Grange-Bateli��re, o�� elle demeurait �� Paris avec sa m��re, �� la maison de Nohant, qui appartenait �� Mme Dupin. L�� c'��tait une tout autre existence, de tout autres aliments pour la vie ruminante. En dehors des heures d'��tude, o�� elle n'apportait qu'une r��gularit�� ext��rieure, elle vivait volontiers en compagnie des petits paysans du voisinage, dans les patureaux o�� ils se r��unissaient autour de leur feu, en plein vent, jouant, dansant ou se racontant des histoires �� faire peur. Elle s'animait, elle s'exaltait de leurs terreurs. ?On ne s'imagine pas, disait-elle en se rappelant cette p��riode de son enfance, ce qui se passe dans la t��te de ces enfants qui vivent au milieu des sc��nes de la nature sans y rien comprendre, et qui ont l'��trange facult�� de voir par les yeux du corps tout ce que leur imagination leur repr��sente.? C'est l�� qu'elle s'essayait de bonne foi �� ce genre d'hallucination particuli��re aux gens de la campagne, guettant l'apparition de quelque animal fantastique, le passage de la grand'b��te que presque tous ses petits compagnons avaient vue au moins une fois. Elle ��tait la premi��re aux contes de la veill��e, lorsque les chanvreurs venaient broyer le chanvre �� la ferme. Malgr�� toute la bonne volont�� qu'elle y mit, elle d��clare qu'elle ne put jamais obtenir la moindre vision pour son compte; elle ne put r��ussir �� ��tre compl��tement dupe d'elle-m��me; mais l'��branlement de l'imagination et des nerfs persistait; elle en ressentait une sorte de fr��missement et de volupt��; toute sa vie elle aima �� raviver le plaisir frissonnant que lui donnaient les ��motions de ce genre. De toutes ces inventions rustiques qu'elle recueillait avidement, de ces visions du soir qu'elle sollicitait dans la campagne, il y avait juste de quoi troubler un instant sa cervelle et lui ravir quelques heures de sommeil. Au fond, ce n'��taient que des mat��riaux qu'elle amassait dans son magasin d'images; elle les accumulait dans son incessante r��verie, pour l'oeuvre future dont elle n'avait pourtant aucune id��e; elle ��tait artiste d��j�� et se d��doublait comme le font les artistes, �� la fois auteur et acteur dans ces petits drames qu'elle se jouait �� elle-m��me. Plus tard elle consacra des ��tudes nombreuses �� ce genre de litt��rature, la litt��rature de la peur, qu'elle avait exp��riment��e sur elle-m��me, le Diable aux champs, les Contes d'une grand'm��re, les L��gendes rustiques, le Drac, etc., etc. Elle avait fini par se faire, sur ce sujet, une ��rudition tr��s curieuse dont elle s'amusait non sans un peu de frayeur. L'��l��ment fantastique lui semblait ��tre une des forces de l'esprit populaire. Elle se plaisait surtout �� le saisir chez des populations qui ne semblent pouvoir r��agir que par l'imagination contre la rude mis��re de leur vie mat��rielle. Le Kobold en Su��de, le Korigan en Bretagne, le Follet en Berry, l'Orco �� Venise, le Drac en Provence, il y a peu de ses romans d'aventures qui ne garde quelque souvenir de ces noms, quelque impression de ce genre, et qui ne soit une de ses r��veries d'enfance continu��e.
C'est ainsi qu'elle pr��lude �� ce songe d'age d'or, �� ce mirage d'innocence champ��tre qui la prit d��s l'enfance et la suivit jusque dans l'age m?r. Malgr�� ces pr��occupations assez sombres, elle n'��tait pas triste pourtant; elle avait ses heures de franche, d'exub��rante gaiet��. Sa vie d'enfance et d'adolescence fut une alternative de solitude recueillie et d'��tourdissement complet. Au sortir de ses longues r��vasseries, elle se livrait avec une sorte d'ivresse �� des amusements tr��s simples et tr��s actifs qui faisaient le plus singulier contraste aux yeux des personnes habitu��es �� la voir vivre.
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