Fables de La Fontaine | Page 8

Jean de La Fontaine
ce récit je prétends faire voir?D'un certain sot la remontrance vaine.
Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir?En badinant sur les bords de la Seine.?Le ciel permit qu'un saule se trouva,?Dont le branchage, après Dieu, le sauva.?S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,?Par cet endroit passe un ma?tre d'école;?L'enfant lui crie: ?Au secours, je péris.??Le magister, se tournant à ses cris,?D'un ton fort grave à contretemps s'avise?De le tancer: ?Ah! le petit babouin!?Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise!?Et puis, prenez de tels fripons le soin.?Que les parents sont malheureux qu'il faille?Toujours veiller à semblable canaille!?Qu'ils ont de maux! et que je plains leur sort.??Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.
Je blame ici plus de gens qu'on ne pense.?Tout babillard, tout censeur, tout pédant?Se peut conna?tre au discours que j'avance.?Chacun des trois fait un peuple fort grand:?Le créateur en a béni l'engeance.?En toute affaire ils ne font que songer?Aux moyens d'exercer leur langue.?Eh! mon ami, tire-moi du danger,?Tu feras après ta harangue.
Le coq et la perle
Un jour un coq détourna?Une perle qu'il donna?Au beau premier lapidaire.??Je la crois fine, dit-il;?Mais le moindre grain de mil?Serait bien mieux mon affaire.?
Un ignorant hérita?D'un manuscrit qu'il porta?Chez son voisin le libraire.??Je crois, dit-il qu'il est bon;?Mais le moindre ducaton?Serait bien mieux mon affaire.?
Les frelons et les mouches à miel
A l'oeuvre on conna?t l'artisan.
Quelques rayons de miel sans ma?tre se trouvèrent:?Des frelons les réclamèrent;?Des abeilles s'opposant,?Devant certaine guêpe on traduisit la cause.?Il était malaisé de décider la chose:?Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons?Des animaux ailés, bourdonnant, un peu longs,?De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,?Avaient longtemps paru. Mais quoi! dans les frelons?Ces enseignes étaient pareilles.?La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,?Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière,?Entendit une fourmilière.?Le point n'en put être éclairci.??De grace, à quoi bon tout ceci??Dit une abeille fort prudente.?Depuis tant?t six mois que la cause est pendante,?Nous voici comme aux premiers jours.?Pendant cela le miel se gate.?Il est temps désormais que le juge se hate:?N'a-t-il point assez léché l'ours??Sans tant de contredits, et d'interlocutoires,?Et de fatras et de grimoires,?Travaillons, les frelons et nous:?On verra qui sait faire, avec un suc si doux,?Des cellules si bien baties??Le refus des frelons fit voir?Que cet art passait leur savoir;?Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.
Pl?t à Dieu qu'on réglat ainsi tous les procès:?Que des turcs en cela l'on suiv?t la méthode!?Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code:?Il ne faudrait point tant de frais;?Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,?On nous mine par des longueurs;?On fait tant, à la fin, que l'hu?tre est pour le juge,?Les écailles pour les plaideurs.
Le chêne et le roseau
Le chêne un jour dit au roseau:??Vous avez bien sujet d'accuser la nature;?Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;?Le moindre vent qui d'aventure?Fait rider la face de l'eau,?Vous oblige à baisser la tête.?Cependant que mon front, au Caucase pareil,?Non content d'arrêter les rayons du soleil,?Brave l'effort de la tempête.?Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.?Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage?Dont je couvre le voisinage,?Vous n'auriez pas tant à souffrir:?Je vous défendrai de l'orage;?Mais vous naissez le plus souvent?Sur les humides bords des royaumes du vent.?La nature envers vous me semble bien injuste.?--Votre compassion, lui répondit l'arbuste,?Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci:?Les vents me sont moins qu'à vous redoutables;?Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici?Contre leurs coups épouvantables?Résisté sans courber le dos;?Mais attendons la fin.? Comme il disait ces mots,?Du bout de l'horizon accourt avec furie?Le plus terrible des enfants?Que le nord e?t porté jusque là dans ses flancs.?L'arbre tient bon; le roseau plie.?Le vent redouble ses efforts,?Et fait si bien qu'il déracine?Celui de qui la tête au ciel était voisine,?Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.
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