Fables de La Fontaine | Page 6

Jean de La Fontaine
loisir.?Adieu donc. Fi du plaisir?Que la crainte peut corrompre!?
Le loup et l'agneau
La raison du plus fort est toujours la meilleure:?Nous l'allons montrer tout �� l'heure.
Un Agneau se d��salt��rait?Dans le courant d'une onde pure.?Un loup survient �� jeun, qui cherchait aventure,?Et que la faim en ces lieux attirait.??Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage??Dit cet animal plein de rage:?Tu seras chati�� de ta t��m��rit��.?--Sire, r��pond l'agneau, que Votre Majest��?Ne se mette pas en col��re;?Mais plut?t qu'elle consid��re?Que je me vas d��salt��rant?Dans le courant,?Plus de vingt pas au-dessous d'Elle;?Et que par cons��quent, en aucune fa?on?Je ne puis troubler sa boisson.?--Tu la troubles, reprit cette b��te cruelle;?Et je sais que de moi tu m��dis l'an pass��.?--Comment l'aurais-je fait si je n'��tais pas n��??Reprit l'agneau; je tette encor ma m��re?--Si ce n'est toi, c'est donc ton fr��re.?--Je n'en ai point.--C'est donc l'un des tiens;?Car vous ne m'��pargnez gu��re,?Vous, vos bergers et vos chiens.?On me l'a dit: il faut que je me venge.??L��-dessus, au fond des for��ts?Le loup l'emporte et puis le mange,?Sans autre forme de proc��s.
L'homme et son image
Pour M. le Duc de La Rochefoucauld
Un homme qui s'aimait sans avoir de rivaux?Passait dans son esprit pour le plus beau du monde:?Il accusait toujours les miroirs d'��tre faux,?Vivant plus que content dans une erreur profonde.?Afin de le gu��rir, le sort officieux?Pr��sentait partout �� ses yeux?Les conseillers muets dont se servent nos dames:?Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,?Miroirs aux poches des galands,?Miroirs aux ceintures des femmes.?Que fait notre Narcisse? Il se va confiner?Aux lieux les plus cach��s qu'il peut s'imaginer,?N'osant plus des miroirs ��prouver l'aventure.?Mais un canal, form�� par une source pure,?Se trouve en ces lieux ��cart��s:?Il s'y voit, il se fache, et ses yeux irrit��s?Pensent apercevoir une chim��re vaine.?Il fait tout ce qu'il peut pour ��viter cette eau;?Mais quoi? Le canal est si beau?Qu'il ne le quitte qu'avec peine.
On voit bien o�� je veux venir.?Je parle �� tous; et cette erreur extr��me?Est un mal que chacun se pla?t d'entretenir.?Notre ame, c'est cet homme amoureux de lui-m��me;?Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui,?Miroirs, de nos d��fauts les peintres l��gitimes;?Et quant au canal, c'est celui?Que chacun sait, le livre des Maximes.
Le dragon �� plusieurs t��tes et le dragon �� plusieurs queues
Un envoy�� du Grand Seigneur?Pr��f��rait, dit l'histoire, un jour chez l'empereur?Les forces de son ma?tre �� celles de l'Empire.?Un allemand se mit �� dire:??Notre prince a des d��pendants?Qui, de leur chef, sont si puissants?Que chacun d'eux pourrait soudoyer une arm��e.??Le chiaoux, homme de sens,?Lui dit: ?Je sais par renomm��e?Ce que chaque ��lecteur peut de monde fournir;?Et cela me fait souvenir?D'une aventure ��trange, et qui pourtant est vraie.?J'��tais en un lieu s?r, lorsque je vis passer?Les cent t��tes d'une hydre au travers d'une haie.?Mon sang commence �� se glacer;?Et je crois qu'�� moins on s'effraie.?Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal:?Jamais le corps de l'animal?Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.?Je r��vais �� cette aventure,?Quand un autre dragon, qui n'avait qu'un seul chef?Et bien plus qu'une queue, �� passer se pr��sente.?Me voil�� saisi derechef?D'��tonnement et d'��pouvante.?Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi:?Rien ne les emp��cha; l'un fit chemin �� l'autre.?Je soutiens qu'il en est ainsi?De votre empereur et du n?tre.?
Les voleurs et l'?ne
Pour un ane enlev�� deux voleurs se battaient:?L'un voulait le garder, l'autre le voulait vendre.?Tandis que coups de poing trottaient,?Et que nos champions songeaient �� se d��fendre,?Arrive un troisi��me larron?Qui saisit ma?tre Aliboron.
L'ane, c'est quelquefois une pauvre province:?Les voleurs sont tel ou tel prince,?Comme le Transylvain, le Turc et le Hongrois.?Au lieu de deux, j'en ai rencontr�� trois:?Il est assez de cette marchandise.?De nul d'eux n'est souvent la province conquise:?Un quart voleur survient, qui les accorde net?En se saisissant du baudet.
Simonide pr��serv�� par les Dieux
On ne peut trop louer trois sortes de personnes:?Les dieux, sa ma?tresse et son roi.?Malherbe le disait, j'y souscris, quant �� moi:?Ce sont maximes toujours bonnes.?La louange chatouille et gagne les esprits.?Voyons comme les dieux l'ont quelquefois pay��e.
Simonide avait entrepris?L'��loge d'un athl��te; et la chose essay��e,?Il trouva son sujet plein de r��cits tout nus.?Les parents de l'athl��te ��taient gens inconnus;?Son p��re, un bon bourgeois; lui, sans autre m��rite;?Mati��re infertile et petite.?Le po��te d'abord, parla de son h��ros.?Apr��s en avoir dit ce qu'il en pouvait dire,?Il se jette �� c?t��, se met sur le propos?De Castor et Pollux; ne manque pas d'��crire?Que leur exemple ��tait aux lutteurs glorieux;?��l��ve leurs combats, sp��cifiant les lieux?O�� ces fr��res s'��taient signal��s davantage;?Enfin l'��loge de ces dieux?Faisait les deux tiers de l'ouvrage.?L'athl��te avait promis d'en payer un talent;?Mais quand il le vit, le galand?N'en donna que le tiers; et dit fort franchement?Que Castor et Pollux acquittassent le reste.??Faites vous contenter par ce couple c��leste.?Je veux vous traiter cependant:?Venez souper chez moi; nous ferons bonne vie:?Les convi��s sont gens choisis,?Mes parents, mes meilleurs amis,?Soyez donc de la
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