F. Chopin | Page 9

Franz Liszt
les infidèles de Stamboul, leur faisaient exercer jadis sur les
femmes, en les refoulant dans la vie domestique et en les tenant
toujours à l'ombre d'une tutelle légale, elle a su néanmoins glorifier et
immortaliser dans leurs annales des reines qui furent des saintes, des
vassales qui devinrent des reines, de belles sujettes pour lesquelles les
uns risquèrent, les autres perdirent des trônes, aussi bien qu'une terrible
Sforza, une intrigante d'Arquien, une Gonzague coquette.
Chez les Polonais des temps passés, une mâle résolution s'unissant à
cette ardente dévotion pour les objets de leur amour qui, en face des
étendards du croissant aussi nombreux que les épis d'un champ, dictait
tous les matins à Sobieski les plus tendres billets-doux à sa femme,
prenait une teinte singulière et imposante dans l'habitude de leur
maintien, noble jusqu'à une légère emphase. Ils ne pouvaient manquer
de contracter le goût des manières solennelles en en contemplant les
plus beaux types dans les sectateurs de l'islam, dont ils appréciaient, et
gagnaient les qualités tout en combattant leurs envahissements. Il

savaient comme eux faire précéder leurs actes d'une intelligente
délibération, qui semblait rendre présente à chacun la divise du prince
Boleslas de Poméranie: Erst wieg's, dann wag's! (Pèse d'abord, puis
ose!) Ils aimaient à rehausser leurs mouvements d'une certaine
importance gracieuse, d'une certaine fierté pompeuse, qui ne leur
enlevait nullement une aisance d'allures et une liberté d'esprit
accessibles aux plus légers soucis de leurs tendresses, aux plus
éphémères craintes de leur coeur, aux plus futiles intérêts de leur vie.
Comme ils mettaient leur honneur à la faire payer cher, ils aimaient à
l'embellir et, mieux que cela, ils savaient aussi aimer ce qui
l'embellissait, révérer ce qui la leur rendait précieuse.
Leurs chevaleresques héroïsmes étaient sanctionnés par leur altière
dignité et une préméditation convaincue. Ajoutant les ressorts de la
raison aux énergies de la vertu, ils réussissaient à se faire admirer de
tous les âges, de tous les esprits, de leurs adversaires mêmes. C'était
une sorte de sagesse téméraire, de prudence hasardeuse, de fatuité
fanatique, dont la manifestation historique la plus marquante et la plus
célèbre fut l'expédition de Sobieski, alors qu'il sauva Vienne et frappa
d'un coup mortel l'empire ottoman, vaincu enfin dans cette longue lutte
soutenue de part et d'autre avec tant de prouesse, d'éclat et de mutuelles
déférences, entre deux ennemis aussi irréconciliables dans leurs
combats que magnanimes dans leurs trêves.
Durant de longs siècles la Pologne a formé un état dont la haute
civilisation, tout à fait autonome, n'était conforme à aucune autre et
devait rester unique dans son genre. Aussi différente de l'organisation
féodale de l'Allemagne qui l'avoisinait à l'occident, que de l'esprit
despotique et conquérant des Turcs qui ne cessaient d'inquiéter ses
frontières d'orient, elle se rapprochait d'une part de l'Europe par son
christianisme chevaleresque, par son ardeur à combattre les infidèles,
d'autre part elle empruntait aux nouveaux maîtres de Byzance les
enseignements de leur politique sagace, de leur tactique militaire et de
leurs dires sentencieux. Elle fondait ces éléments hétérogènes dans une
société qui s'assimilait des causes de ruine et de décadence, avec les
qualités héroïques du fanatisme musulman et les sublimes vertus de la
sainteté chrétienne[1]. La culture générale des lettres latines, la

connaissance et le goût de la littérature italienne et française,
recouvraient ces étranges contrastes d'un lustre et d'un vernis classiques.
Cette civilisation devait nécessairement apposer un cachet distinctif à
ses moindres manifestations. Peu propice aux romans de la chevalerie
errante, aux tournois et passes d'armes, ainsi qu'il était naturel à une
nation perpétuellement en guerre qui réservait pour l'ennemi ses
prouesses valeureuses, elle remplaça les jeux et les splendeurs des
joutes simulées par d'autres fêtes, dont des cortèges somptueux
formaient le principal ornement.
[Note 1: On sait de combien de noms glorieux la Pologne a enrichi le
calendrier et le martyrologe de l'Église. Rome accorda à l'ordre des
Trinitaires, (Frères de la Rédemption), destiné à racheter les chrétiens
tombés en esclavage chez les infidèles, le privilège exclusif pour ce
pays de porter une ceinture rouge sur leur habit blanc, en mémoire des
nombreux martyrs qu'il fournit, principalement dans les établissements
rapprochés des frontières, tels que celui de Kamieniec-Podolski.]
Il n'y a rien de nouveau, assurément, à dire que tout un côté du
caractère des peuples se décèle dans leurs danses nationales. Mais, nous
pensons qu'il en est peu dans lesquelles, comme dans la Polonaise, sous
une aussi grande simplicité de contours, les impulsions qui les ont fait
naître se traduisent aussi parfaitement dans leur ensemble, en se
trahissant aussi diversement par les épisodes qu'il était réservé à
l'improvisation de chacun de faire entrer dans le cadre général. Dès que
ces épisodes eurent disparu, que la verve en fut absente, que nul ne se
créa plus un rôle spécial dans ces courts intermèdes, qu'on se contenta
d'accomplir machinalement l'obligatoire
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