artistes. C'est que
sainte Cécile est restée avec saint Hubert, saint Crépin, sainte Barbe,
saint Éloi, saint Yves et saint Fiacre, la plus populaire des patronnes de
corporations. Encore, pour saint Fiacre, est-il assez malaisé d'expliquer
que les bonnetiers et les jardiniers lui aient voué un culte si fervent. On
dit bien que Fiacre était fils d'un roi d'Écosse et que c'est d'Écosse que
sont venus les premiers ouvrages de bonneterie faits au tricot. Il y a loin
de là pourtant à conclure qu'il en fabriqua lui-même; et, s'il est vrai
aussi que, venu en France vers l'an 650, il bâtit un hospice près de
Meaux, dans un village qui porte encore son nom, rien ne prouve qu'il
s'y soit livré au jardinage.
Sait-on, d'ailleurs, pourquoi saint Arnould est le patron des brasseurs,
saint Odon le patron des fripiers, saint Roch le patron des plafonneurs,
saint Maurice le patron des teinturiers, saint Paul le patron des cordiers,
saint Antoine le patron des vanniers, saint Sylvestre le patron des
sauniers et saint Jean le patron des compositeurs typographes? Il ne faut
voir là, sans doute, qu'une marque de la dévotion particulière des
premiers fondateurs de la corporation à ces bienheureux. On ne
s'expliquerait pas autrement que saint Médard, par exemple, lequel fut
évêque de Noyon sous Childéric et, durant les longues années de son
épiscopat, posséda le don de guérir, d'un simple attouchement, ses
ouailles qui souffraient de névralgies, ait été choisi comme patron par
les marchands de parapluies et non par les dentistes.
On s'explique mieux en revanche pourquoi sainte Catherine est
devenue la patronne des vieilles filles. Il paraît qu'autrefois, dans
quelques provinces, quand une jeune fille se mariait, l'usage était de
confier à une de ses amies le soin d'arranger la coiffure nuptiale. Ce
service devait lui porter bonheur et elle ne pouvait manquer de se
marier à son tour dans le courant de l'année. L'expression coiffer sainte
Catherine serait donc une simple ironie. Cette sainte étant morte
célibataire et n'ayant jamais eu besoin qu'on lui rendît pareil service,
coiffer sainte Catherine équivalait, pour une fille mûre, à un brevet de
célibat. Il est vrai d'ajouter qu'à côté de sainte Catherine les demoiselles
désireuses de se marier trouvent dans sainte Agnès une patronne plus
complaisante. La fête de cette sainte tombe le 21 janvier. Or, si la
légende dit vrai, les jeunes filles qui invoquent la sainte d'un coeur
fervent voient en rêve, dans la nuit du 20 au 21, l'époux que le ciel leur
destine. À Rome, la Sainte-Agnès est célébrée avec un éclat
extraordinaire. C'est ce jour-là que les chanoines de
Saint-Jean-de-Latran se réunissent pour porter au Souverain Pontife
deux agneaux blancs dont la laine doit servir à confectionner le pallium
que le pape, en certaines circonstances, offre aux archevêques et aux
évêques dont il veut récompenser les mérites sacerdotaux. Le pallium
se compose d'une bande de laine blanche, large d'environ deux
centimètres et garnie de pendants terminés par de petites croix noires
qui retombent tout autour des épaules. Innocent III, dans un de ses brefs,
nous apprend «que la laine dont est fait cet ornement est l'emblème de
la sévérité; la couleur blanche celle de la douceur. Le pallium forme un
cercle autour des épaules pour marquer la crainte de Dieu. Les deux
bandes placées en avant et en arrière signifient la vie active et la vie
contemplative qu'un dignitaire de l'Église doit savoir concilier».
On retrouverait difficilement ce haut symbolisme dans les fêtes
populaires qui se célèbrent aujourd'hui encore, sur la terre de France, en
l'honneur des patrons de corps de métiers. Les choses s'y passent plus
simplement. C'est ainsi que, pour la fête de saint Joseph, qui est le
patron des charpentiers, les membres de la corporation assistent, le
matin, à une messe chantée et s'assemblent ensuite dans un grand
banquet, que terminent des chansons et des rondes. D'autres
corporations accrochent à la devanture de leurs ateliers ou de leur
boutiques un rameau de sapin fleuri; quelques-unes enfin se livrent à
des manifestations publiques et parcourent la ville, précédées de
tambours et de fifres et conduites par quelque compagnon de haute
stature qui brandit une canne enrubannée.
Il faut bien reconnaître d'ailleurs que l'intérêt et l'éclat de ces fêtes ont
singulièrement décru depuis la Révolution. À l'époque où tous les corps
de métiers étaient constitués en jurandes et en maîtrises, la solidarité
était bien plus grande entre les maîtres, les compagnons et les apprentis.
La piété était aussi plus vive. Chaque corporation formait une confrérie
qui avait son autel et quelquefois son église particulière, qu'elle mettait
son honneur à décorer luxueusement. Administrée par un comité de
maîtres appelés syndics, prud'hommes ou garde-métiers, chacune de
ces confréries était placée sous le vocable d'un saint ou d'un attribut
religieux choisi par elle: ainsi les cordonniers et les
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