Félix Poutré | Page 9

Louis Frechette
cou jusqu'à ce que la mort s'en suive. Que Dieu ait pitié de votre ame!?
CARDINAL--Vive la liberté!
SHéRIF--Joseph Duquette, à votre tour, approchez et levez la main droite. (Il lit:) ?Ayant été bien et d?ment convaincu du crime de haute trahison, avec intention avouée de renverser le gouvernement de notre Souveraine Dame la Reine, au Canada, vous, Joseph Duquette, avez été condamné par la Cour Martiale légalement établie en cette province, à être conduit, vendredi, le vingt et unième jour de décembre en l'année de Notre Seigneur mil huit cent trente-huit, au lieu ordinaire des exécutions, pour là être pendu par le cou jusqu'à ce que la mort s'en suive. Que Dieu ait pitié de votre ame.?
DUQUETTE--Vive la liberté!
SHéRIF--Joseph Narcisse Cardinal et Joseph Duquette, préparez-vous tous deux à me suivre. (Cardinal et Duquette pressent la main aux prisonniers dont quelques-uns pleurent.)
CARDINAL--Ne pleurez pas, mes amis, nous nous reverrons dans un monde meilleur, et en attendant, nous allons montrer à nos ennemis comment savent mourir des chrétiens et des Canadiens-fran?ais . . . Adieu! . . . priez pour nous et vive le Canada! (Cardinal et Duquette s'embrassent et se mettent à genoux.)
DUQUETTE--J'offre mon ame à Dieu et ma vie à mon pays!
CARDINAL--Ainsi soit-il!
SHéRIF--êtes-vous prêts?
(Ensemble:) CARDINAL--Oui. DUQUETTE--Oui.
Ils sortent escortés par les soldats et suivis par le bourreau, le ge?lier et le shérif. Tous les prisonniers restent silencieux; on entend le brouhaha de la populace.
CARDINAL, en dehors--Canadiens, nous allons mourir pour la patrie; puisse notre sang devenir une semence féconde pour l'avenir du Canada!
DUQUETTE, en dehors et chantant--?Allons, enfants de la patrie, le jour de gloire est arrivé . . .? (On entend un grand bruit suivi des cris de la multitude en dehors. Les prisonniers se mettent à genoux et chantent à la sourdine:)
LES PRISONNIERS--?Mourir pour la patrie, C'est le sort le plus beau, Le plus digne d'envie. (bis)?
(Les prisonniers se lèvent.)
SCèNE III
FéLIX, LES PRISONNIERS
FéLIX--Mes amis, écoutez-moi. Deux hommes irréprochables dans leur conduite personnelle, deux hommes universellement estimés et respectés, deux nobles coeurs et deux citoyens dévoués, viennent de subir le sort des criminels, des voleurs et des meurtriers! L'affreuse réalité est là devant nos yeux. Deux de nos amis viennent de nous être arrachés et d'être immolés à des vengeances de partis; car il y a si peu de crime réel dans une tentative d'insurrection, que le gouvernement anglais sera t?t ou tard obligé, par la seule force des choses et de l'opinion, de réhabiliter ces victimes d'une atrocité presque sans exemple dans l'histoire des peuples. Des exécutions pour cause purement politique sont, à tous les points de vue possibles, de vrais meurtres, des cruautés inexcusables, et le gouvernement qui les ordonne reste plus déshonoré que ceux qui les subissent. Mais consolez-vous, amis; Cardinal et Duquette, et tous ceux qui auront l'honneur de les suivre sur l'échafaud seront toujours regardés comme des martyrs de la liberté, puisqu'ils auront sacrifié leur vie à leurs convictions, et le procureur général Ogden, le véritable auteur de ces meurtres, restera pour toujours cloué au pilori de l'histoire, et voué à l'exécration publique, pendant que des monuments de sympathie et de deuil national s'élèveront à ses victimes! Mes amis, admirons le courage sto?que avec lequel nos compagnons viennent de subir le dernier supplice, et, s'il nous faut nous soumettre au même sort, jurons tous de mourir comme eux le front haut et le mot de liberté sur les lèvres.
LES PRISONNIERS, levant la main--Nous le jurons!
(Entrent le Shérif et le Ge?lier.)
SCèNE IV
Les Précédents, SHéRIF, GE?LIER
SHéRIF, entrant--Charles Hindeland, vous êtes appelé à subir un interrogatoire; suivez-moi.
(Le Shérif et le Ge?lier sortent avec l'un des prisonniers.)
SCèNE V
Les Précédents, excepté le SHéRIF et le GE?LIER
FéLIX, conduisant Béchard sur le devant de la scène--Je crois, mon cher Béchard, que nous avons grande chance de suivre bient?t le pauvre Cardinal et le pauvre Duquette, et de partir par la même route.
BéCHARD--Le fait est que je suis loin d'être rassuré. Le gouvernement se venge, et puisqu'il y est décidé, il fera sa vengeance la plus complète possible. Je ne sais vraiment quel démon inspire ceux qui conduisent les affaires du pays.
FéLIX--Vous avez toujours plus de chance de vous en tirer que moi; vous n'avez pas assermenté trois mille hommes, et surtout vous n'avez pas chanté vos affaires à tout le monde.
BéCHARD--C'est vrai; mais on peut avoir de moindres chances que toi, et en avoir encore d'assez belles.
FéLIX--Vous croyez donc que c'est une affaire faite pour moi?
BéCHARD--Pour te dire la vérité, mon cher, nous sommes des hommes et nous pouvons la supporter, je suis même surpris qu'on n'ait pas commencé par toi.
FéLIX--Diable! vous n'êtes pas consolant.
BéCHARD--Que veux-tu? Nous aurions tort de nous faire illusion; il vaut mieux se tenir prêt à tout.
FéLIX--C'est vrai, et après ce qui vient d'arriver, je ne puis m'empêcher de me dire que c'en est fait de moi. Cela fait
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