charbon qui s'anime au foyer
Quand le vent prend la cendre et la fait tournoyer.
Il promena l'archet
sur les cordes vibrantes:
L'instrument résonna: les danses délirantes
Commencèrent sur l'herbe, à l'ombre du verger.
Jeunes gens et
vieillards s'unirent dans la danse.
Les brillants tourbillons roulèrent
en cadence,
Sur l'émail du vert pré, sans trève, sans repos,
Au
milieu des ris francs et des tendres propos.
La plus belle parmi toutes
ces jeunes filles,
La plus pure au milieu des vierges si gentilles,
C'était Evangéline! et le plus beau garçon
C'était bien Gabriel le fils
du forgeron.
Le matin passait vite: on était dans l'ivresse!
Mais voici qu'arrivait
l'heure de la détresse!
On entendit sonner la cloche de la tour;
On
entendit le bruit du sonore tambour.
Et l'église aussitôt se remplit
toute entière.
Tremblant pour leurs époux, au fond du cimetière,
Les
femmes du village, en foule et tristement,
Attendirent la fin de cet
événement.
Elles se cramponnaient aux angles de la pierre,
Aux
saules qui des morts protégeaient la poussière,
Pour voir dans la
chapelle à travers les vitraux,
Avec un air d'orgueil, marchant à pas
égaux,
Les soldats, deux à deux, des vaisseaux descendirent
Te tout
droit à l'église à grands pas se rendirent.
Au son de leurs tambours de
sinistres échos
Du temple profané troublèrent le repos.
Un long
frémissement s'empara de la foule
Qui bondit comme un flot que la
tempête roule.
La porte fut fermée avec des gros verrous.
Des
féroces soldats redoutant le courroux
L'Acadien plein de crainte
attendit en silence.
Bientôt le commandant avec fierté s'avance,
Monte jusqu'à l'autel, se tourne et parle ainsi:
--«Vous êtes en ce jour
tous assemblés ici
«Comme l'a décrété Sa Majesté chrétienne,
«Honnêtes habitants de la terre Acadienne:
«Or vous n'ignorez pas
que le roi fut clément,
«Fut généreux pour vous; mais vous autres,
comment
«A de si grands bienfaits osez-vous donc répondre
«Consultez votre coeur il pourra vous confondre.
«Paysans, il me
reste un devoir à remplir,
«Un pénible devoir; mais dois-je donc
faiblir?
«Dois-je faire à regret ce que mon roi m'ordonne?
«Je viens
pour confisquer, au nom de la couronne,
«Vos maisons et vos biens
avec tous vos troupeaux.
«Vous serez transportés à bord de nos
vaisseaux,
«Sur un autre rivage où vous serez, j'espère,
«Un peuple
obéissant, généreux et prospère.
«Vous êtes prisonniers au nom du
Souverain.»
En été quelquefois quand le soleil de juin,
Par l'ardeur de ses feux
dessèche les prairies;
Que les fleurs des jardins, que les feuilles
flétries
Tombent, une par une, au pied de l'arbrisseau;
Qu'on
n'entend plus couler le limpide ruisseau;
A l'horizon de flamme un
point sombre, un nuage,
Portant dans son flanc noir le tonnerre et
l'orage,
S'élève tout coup, grandit, grandit toujours.
Le soleil effrayé
semble hâter son cours:
Il règne dans les airs un lugubre silence:
Le
ciel est noir; l'oiseau vers ses petits s'élance;
Et la cigale chante et l'air
est étouffant;
Le tonnerre mugit; le nuage se fend;
Le ciel vomit la
flamme: et la pluie et la grêle
Sous leurs fouets crépitants brisent
l'arbuste frêle,
Et le carreau de vitre, et les fleurs et les blés.
Dans
un des coins du clos un moment rassemblés,
Les bestiaux craintifs
laissent là leur pâture.--
Puis bientôt en beuglant ils longent la clôture
Pour trouver un passage et s'enfuir promptement.
Des pauvres
villageois tel fut l'étonnement
A cette heure fatale où le cruel ministre
Eut sans honte élevé sa parole sinistre.
Ils courbèrent le front sous
le poids du malheur;
Ils restèrent muets de peine et de terreur.
Mais
bien vite au penser de ce sanglant outrage,
S'alluma dans leur âme
une bouillante rage:
Vers la porte du temple ils s'élancèrent tous.
C'est en vain toutefois qu'ils redoublent leurs coups:
Elle ne s'ouvre
point! Des soupirs, des prières,
Des imprécations et des menaces
fières
Font bien haut retentir en cet affreux moment
Le lieu de la
prière et du recueillement.
Tout à coup dans la foule on vit le vieux
Basile,
Frémissant, agité comme un bateau fragile
Que le vent de
l'orage emporte sur les flots,
Lever ses poings nerveux en rugissant
ces mots:
--«A bas ces fiers Anglais! Ils ne sont pas nos maîtres!
«A bas! ces étrangers! ces perfides! ces traîtres
«Qui viennent en
brigands détruire nos moissons!
«Qui veulent nous chasser pour piller
nos maisons!»
Il en aurait bien dit sans doute davantage,
Mais un
brutal soldat à la mine sauvage,
Le frappant sur le front d'un gantelet
de fer
L'étendit à ses pieds avec un ris d'enfer.
Pendant que cette scène affreuse et sans exemple
Se déroule, en plein
jour, au milieu du saint temple,
La porte du choeur s'ouvre et le père
Félix,
Dans sa tremblante main tenant un crucifix,
Vêtu de l'aube
blanche et de la sainte étole,
Et le front entouré comme d'une auréole,
S'avance d'un pas sûr jusqu'au pied de l'autel.
Son coeur est abîmé
dans un chagrin mortel;
Il voit son cher troupeau qui crie et se désole,
Lui parle avec douceur, et sa grave parole
Retentit comme un glas
le soir du jour des morts:
--«Hélas! que faites-vous? et quels sont ces
transports?
«Pourquoi donc ces clameurs? Pourquoi ces colères?
«J'ai pendant quarante ans travaillé comme un père
«A vous rendre
plus doux et plus humbles de coeur.
«Et vous ne savez point
supporter le malheur!
«Aux âmes des payens vos âmes sont pareilles!
«De quoi m'ont donc servi la prière et les veilles,
«Si vous
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