Eric le Mendiant | Page 4

Pierre Zaccone
habitué à chercher en Bretagne, c'est-à-dire des monuments d'une haute antiquité, ou quelque objet digne d'être soumis à l'appréciation des antiquaires de Paris. -- à part son église dont quelques parties rappellent, avec assez de fidélité, l'architecture du quinzième siècle, et un vase d'argent richement ciselé, que l'on y conserve comme un don authentique fait à la commune par la reine Anne, le petit bourg ne présente guère d'intérêt au voyageur, que sa position pittoresque, et la beauté du site qui l'environne!
Le voisinage de la mer imprime à tout paysage un caractère de force et de grandeur; il y a dans le spectacle de cette immensité sans horizon, comme dans la sauvage harmonie de ces vagues incessamment agitées, quelque chose qui fascine, tourmente le regard et imprègne l'ame d'une tristesse amère et douce à la fois...
En présence de cette page sublime du livre de la nature, c'est en vain que l'on chercherait à nier Dieu... Dieu est là, il faut courber le front et adorer!...
Saint-Jean-du-Doigt est bati sur les deux versants opposés d'une petite vallée, que la mer envahit souvent dans les jours de grande marée.
Par suite de cette disposition naturelle du village, la population s'est partagée presque également en marins et en laboureurs.
Pendant la semaine, le village n'est habité que par les femmes, les vieillards infirmes et les mendiants; quand le temps n'est pas absolument mauvais, les laboureurs vont aux champs, tandis que les matelots gagnent la haute mer.
Ce jour-là, Tanneguy et Marguerite ne furent donc pas surpris de trouver Saint-Jean-du-Doigt presque désert, et de n'apercevoir de loin en loin que quelques vieilles femmes occupées à filer le lin, ou quelques vieillards qui se rendaient à l'église.
Ils traversèrent ainsi le petit village, et arrivèrent en peu de temps au presbytère.
Cette habitation est l'une des plus heureusement situées de toute la c?te; placée sur le versant de l'est, elle domine à pic la vallée et la grève qui s'étend jusqu'aux extrémités les plus reculées de l'horizon. Rien n'a été négligé pour augmenter le charme de sa situation. à droite et à gauche de la cour d'entrée, s'élèvent deux batiments de forme rustique, où l'on enferme pendant la nuit les boeufs et les chevaux de labour; au fond se détache vivement sur le ciel bleu la silhouette blanche du presbytère, à moitié caché derrière les arbres fruitiers du petit verger qui le précède.
C'est là que résidait l'abbé Kersaint.
Avant d'être curé de Saint-Jean-du-Doigt, il avait été longtemps vicaire à Lanmeur, et c'est dans cette dernière localité qu'il avait connu Tanneguy. C'est lui qui avait baptisé Marguerite, c'est lui encore qui avait donné à la femme de Tanneguy les suprêmes consolations de la religion.
L'abbé Kersaint était un de ces nobles et vénérables prêtres qui exercent leur saint ministère avec la sérénité d'une conscience pure et l'élan courageux d'une ame dévouée à l'humanité. à Saint- Jean-du-Doigt, comme à Lanmeur, il était devenu le père naturel des pauvres de la commune, et, sur toute la c?te, on ne pronon?ait son nom qu'avec une sainte et pieuse vénération.
Tanneguy et Marguerite connaissaient le presbytère, pour y être venus fort souvent déjà; ils poussèrent donc la porte sans sonner, et entrèrent dans la cour.
Un énorme chien gardait le seuil de la porte, mais il reconnut vraisemblablement dans ces nouveaux h?tes deux figures de connaissance, car après avoir relevé la tête, et fait entendre un grognement sourd et inarticulé, il se recoucha nonchalamment à deux pas de sa niche, et regarda passer les visiteurs...
Ainsi rassurée par l'attitude bienveillante du cerbère breton, la petite Marguerite quitta aussit?t la main de son père, et courut devant elle.
Déjà les voyageurs avaient été signalés, et la blonde enfant atteignait à peine le seuil de la porte, que l'abbé Kersaint lui- même arrivait à leur rencontre.
-- C'est donc toi, Marga?t, dit le vieillard en prenant les mains de l'enfant avec une paternelle tendresse, allons, voilà une bonne journée, puisque je te vois, et que tu es en bonne santé...
-- Monsieur le curé est bien bon...
-- Et nous sommes toujours sage?...
Marguerite rougit un peu et leva les yeux vers son père qui approchait.
L'abbé Kersaint fit quelques pas, et tendit cordialement la main à ce dernier.
-- Le ciel soit avec vous, Tanneguy, lui dit-il, vous êtes un heureux père, et c'est une chose rare que de vous voir sur la c?te... il ne vous est rien arrivé au moins depuis que je ne vous ai vu?...
-- Oh! rien, répondit Tanneguy en serrant la main que lui tendait le vieillard, rien, monsieur l'abbé, si ce n'est que la république nous a envoyé quelques préoccupations que nous n'avions pas auparavant!... Mais, Dieu merci, tout prospère à Lanmeur; la moisson s'annonce bien; les foins ont peut-être un peu souffert, mais les blés seront magnifiques, et tant qu'il y aura de quoi faire du pain au pays, les pauvres gens
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